«EN POINTANT DU DOIGT L'INSÉCURITÉ, FRANÇOIS RUFFIN ESSAIE DE RAPPROCHER LA GAUCHE DES CATÉGORIES POPULAIRES»
Ancien porte-parole de Jean-Luc Mélenchon durant la campagne de 2017, Georges Kuzamnovic est président du parti République souveraine.
FIGAROVOX.- Le député a publié ce mardi 31 mai sur les réseaux sociaux un texte sur le quotidien des habitants d'une tour HLM, rythmé par l'insécurité grandissante. Faut-il y voir une volonté de convaincre les classes populaires ?
Georges KUZMANOVIC.- François Ruffin est plus averti sur l'insécurité que d'autres élus de gauche car son électorat de la Somme appartient à la France périurbaine, consciente des problèmes de sécurité. Ce texte est également un moyen pour lui de montrer juste avant les élections législatives qu'il se penche sur ces questions. Comme ce fut le cas lors de la présidentielle, le sujet de la sécurité fait partie des thèmes importants de la campagne, en particulier pour les catégories populaires qu'est censé défendre la gauche. Enfin, c'est peut-être une tentative de sa part de replacer le sujet de la bonne manière à gauche. L'entreprise est délicate, j'en ai moi-même pâti à la France insoumise. D'une manière générale, la gauche préfère fermer les yeux sur les questions de sécurité.
J'en suis arrivé à la conclusion qu'une partie de la gauche évite les sujets qui touchent à la sécurité car elle a peur du peuple qu'elle soupçonne toujours de virer vers le fascisme.
Georges Kuzamnovic
«Être de gauche, ce n'est pas fermer les yeux là-dessus», écrit d'ailleurs François Ruffin. Comment expliquer que cette question soit peu abordée par la Nupes ?
Il faut distinguer au sein de la Nupes. Concernant Jean-Luc Mélenchon, il y a eu des changements dans sa ligne politique. Jusqu'en 2017, son programme traitait de la sécurité, et présentait une politique régalienne qui ne plaisait pas à gauche. En 2018, afin d'obtenir une hégémonie sur la gauche, il a opéré un tournant et a changé son programme sur de nombreux sujets, dont l'Union européenne, l'immigration, et la sécurité.
Mais la Nupes comprend également le PCF de Fabien Roussel qui a une position différente. En 2021, il avait participé à la «marche citoyenne» des policiers à Paris, ce qui lui avait valu de nombreuses critiques. Fabien Roussel avait alors affirmé que la sécurité était une question populaire, fondamentale. On retrouve dans ce discours une logique qui était présente jadis au sein du parti communiste français dans la bouche de personnalités comme Georges Marchais qui affirmait que la gauche ne pouvait être laxiste sur ces questions, et qu'il fallait «reprendre le pouvoir dans toutes les rues de la République».
J'en suis arrivé à la conclusion qu'une partie de la gauche évite ces sujets car elle a peur du peuple qu'elle soupçonne toujours de virer vers le fascisme. Cette logique était particulièrement visible au moment de la crise des “gilets jaunes”. Bien qu'ils aient récupéré le mouvement au moment de la campagne présidentielle, au moment où il s'est déployé La France insoumise et Éric Cocquerel n'avait pas hésité à les qualifier de fascistes.
Alors que 80% de la population considère que la justice est trop laxiste et que les questions de sécurité sont essentielles, il y a une sorte de refus de voir les choses à gauche. La raison est très largement sociologique. Les membres de cette gauche font partie d'un spectre qui va des classes sociales moyennes fonctionnaires aux classes très aisées. Ils bénéficient de capitaux culturels, sociaux, symboliques, et parfois financiers très solides qui sont une forme de protection garantissant leur vie quelles que soient les évolutions de la société. Au contraire, les catégories populaires sont exposées à tous les changements de manière immédiate. Il y a un décalage sociologique qui donne l'impression à la bourgeoisie de gauche que tout ira bien, qu'il n'y a pas de problèmes d'immigration, ni de sécurité et crée une sorte d'anomie.
Les ouvriers et les petits employés votent très peu à gauche désormais et préfèrent s'abstenir. La première raison est la trahison du parti socialiste et les politiques néolibérales qu'il a mises en place. La seconde est le désintérêt de la gauche pour les questions de sécurité et d'immigration.
Aujourd'hui, la gauche est surinvestie sur la question de la sûreté, mais rejette celle de la sécurité alors que les deux problèmes sont indissociables.
Georges Kuzmanovic
Est-ce aussi lié à la crainte de certains militants de gauche d'être perçus comme «virant à droite» ?
Cette crainte existe en effet. Dès qu'une personnalité de gauche, comme François Ruffin ou Fabien Roussel, parle de sécurité de manière sérieuse, une levée de boucliers, en particulier sur les réseaux sociaux, a tout de suite lieu soulevant des accusations de fascisme. La crainte d'être discrédité dans le milieu de la gauche est très forte, alors que ce devrait être l'inverse. La sécurité est une valeur de gauche, la société ne pouvant pas fonctionner sans elle.
Les racines de ce désintérêt des questions de sécurité se trouvent peut-être dans la Révolution française. La Déclaration des droits de l'Homme évoque la sûreté qui est l'assurance que les citoyens ne seront pas contraints au-delà du nécessaire par la force publique. Aujourd'hui, la gauche est surinvestie sur la question de la sûreté, mais rejette celle de la sécurité alors que les deux problèmes sont indissociables.
Il y a une forte dichotomie sur la question de la sécurité entre la droite et gauche. La gauche centre son discours sur la prévention. La réponse à l'insécurité que l'on trouve aujourd'hui dans le programme de Mélenchon est de faire porter la responsabilité de la violence par la police, et d'améliorer l'éducation et les instruments de la république dans les quartiers en difficulté. Au contraire, à droite, le discours accentue sur la répression immédiate.
En réalité, la gauche et la droite font erreur. La bonne solution pour lutter contre l'insécurité est d'associer les deux axes politiques. De plus, il est indispensable de lutter contre la pauvreté. En se concentrant sur l'emploi, et l'arrêt de la délocalisation de nos industries, une partie des problèmes de sécurité et d'immigration se résorbera d'elle-même.
La volonté de la gauche de ne pas paraître comme «de droite» empêche-t-elle la gauche de penser d'autres sujets que la sécurité ? Lesquels ?
Le premier sujet qu'il est interdit de penser est l'immigration. Parler de régulation de l'immigration, même avec un discours qu'aurait pu employer Jean-Jaurès, est impossible. Ce sujet est absolument tabou. Rien qu'à l'évoquer, vous êtes qualifiés à droite.
Les autres questions qui posent problème sont celles de l'islamisme et du terrorisme. Le sujet est vite détourné, de la même manière que pour la laïcité. C'est peut-être d'ailleurs là le plus étrange. Car, si la sécurité a pu souvent poser problème à la gauche, la laïcité a toujours été le liant des grandes coalitions. Lors du cartel des gauches de 1924, du front populaire de 1936, ou encore des accords entre le PCF et le Parti socialiste dans les années 60, le grand liant était la laïcité. L'objet politique non-identifié de gauche qu'est la Nupes, ne fait plus de la laïcité son liant, mais au contraire intègre sa critique dans son accord. Cette dérive tout à fait étonnante de la gauche ne peut pas l'amener au pouvoir. D'un côté, elle devient non-conforme sur les questions de laïcité avec les principes de la république. De l'autre, en ne prenant pas au sérieux les revendications populaires autour de la sécurité et de l'immigration, elle ne comprend pas les électeurs et reste cantonnée, même unifiée, à 30% des suffrages.
Le déterminant idéologique n'est plus l'histoire du mouvement ouvrier français et européen, ni Karl Marx, Jaurès ou Léon Blum, mais la gauche démocrate des Etats-Unis pour qui les questions d'identité, de communautarismes et de race sont centrales.
Georges Kuzmanovic
À quoi est due cette évolution sur la laïcité ? Est-ce une stratégie électorale, ou la conséquence de l'évolution de la société ?
Cette évolution est très clairement une stratégie électorale de la France Insoumise, pensée par Éric Coquerel et adoptée par le mouvement. On observe une tendance électoraliste qui vise un vote communautariste.
Le changement provient également de la société, pour deux raisons différentes.
Le premier facteur d'évolution repose dans la jeunesse des classes sociales qui votent à gauche. Pour ces électeurs, le déterminant idéologique n'est plus l'histoire du mouvement ouvrier français et européen, ni Karl Marx, Jaurès ou Léon Blum, mais la gauche démocrate des Etats-Unis pour qui les questions d'identité, de communautarismes et de race sont centrales. Cette partie de la Nupes est d'ailleurs l'image miroir d'Éric Zemmour qui place également les questions d'identité, d'islam et de race au centre de son discours.
En outre, il y a une progression des islamistes, qui s'ils restent minoritaires, sont très visibles. L'absence d'amour de la patrie, d'élan de la part des dirigeants qui entraine tous les membres de la société quelles que soient leurs origines ou religions, couplée à l'inféodation aux États-Unis et au transfert de souveraineté à l'Union européenne, conduit les groupes sociologiques à se refermer sur eux-mêmes.
Cependant, ce n'est pas parce que la société a évolué de cette manière, qu'il faut capituler. Si elle veut défendre le peuple, la gauche doit incarner les principes républicains, la laïcité, et ne pas avoir peur de parler d'immigration et de sécurité.
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