Après 25 % en 2017 et 17 % en 2018, la progression de la richesse de « nos » 500 atteint 6 % cette année. Une hausse modérée qui témoigne d’un millésime contrasté selon les secteurs, avec le luxe qui rit et l’industrie qui pleure.
Jamais, depuis le lancement du classement des 500 fortunes professionnelles de France il y a vingt-quatre ans, les 700 chefs d’entreprise et les grands actionnaires y figurant n’ont été aussi perdus devant l’image que la société a d’eux. A l’évidence, la crise des « gilets jaunes » a laissé des traces. « Peut-être ne devriez-vous pas publier votre classement cette année compte tenu de l’ambiance compliquée », suggère par exemple Philippe Bénacin (200ème), cofondateur d’Interparfums, qui développe des licences avec des groupes de luxe. Pourtant, le cru 2019 de notre palmarès est contrasté, avec une progression que l’on peut considérer comme modérée (6 %) de la richesse cumulée de nos 500 fortunes, loin derrière celles de l’an dernier (+17 %) et de 2017 (+25 %).
Part croissante de la croissance
Mais sur le long terme, quelle performance ! Il y a quelques mois, l’Insee a publié une étude montrant que le patrimoine moyen des Français avait doublé depuis 1998. Or, sur la même période, celui des 500 de notre classement a été multiplié par… sept. L’économiste Thomas Piketty, auteur du best-seller Le Capital au XXIème siècle, a raison quand il affirme que « les plus riches captent une part croissante de la croissance » depuis plusieurs années. En 1996, lorsque Challenges a lancé son palmarès, la richesse cumulée des 500 fortunes représentait 2 % de l’ensemble du patrimoine privé des Français, estimé alors à 3.475 milliards d’euros. Et pendant quinze ans, cette part est restée à peu près stable. Mais depuis 2010, elle a augmenté beaucoup plus vite. Jusqu’à peser, cette année, avec 700 milliards, environ 6 % du patrimoine actuel (estimé à 12.000 milliards) des Français… Thomas Piketty le confirme : « La France a connu un fort accroissement des inégalités entre 1983 et 2015 : le revenu moyen des 0,1 % les plus aisés a progressé de 150 %, contre à peine 25 % pour le reste de la population. Les 1 % les plus riches ont capté à eux seuls 21 % de la croissance totale, contre 20 % pour les 50 % les plus pauvres ».
Cette année, cette croissance n’a pas bénéficié uniformément à tous les secteurs. Mieux valait être à la tête d’un groupe de luxe qu’à celle d’une entreprise industrielle cotée, même prospère. Les grandes sociétés comme LVMH, Chanel, Hermès ont ainsi vu leur valeur s’envoler ces derniers mois, boostée par la croissance des ventes (+ 12,5 % pour Chanel en 2018) et des profits records. Elles entraînent dans leur sillage les belles PME du secteur, souvent familiales, comme le pâtissier Pierre Hermé et le malletier familial Goyard, deux de la cinquantaine des entrants de notre classement.
Fonds à l’affût
Leur valorisation est d’autant plus forte que des fonds d’investissement et des sociétés de private equity frappent avec insistance à leur porte, le carnet de chèques à la main, pour prendre un ticket au capital. Avec de gros moyens : l’année dernière, au niveau mondial, ces fonds ont levé 460 milliards de dollars. Cette année, selon le fournisseur de données financières Preqin, ils devraient disposer du double : 1.000 milliards.
« Il ne se passe pas une semaine sans qu’un financier nous appelle en nous proposant une valorisation stratosphérique », observe le créateur de cette grosse PME de services, sous le couvert de l’anonymat. Beaucoup finissent par céder : Jean-Claude Lavorel, qui contrôlait, depuis 1999, Bonitas, un groupe de services aux personnes âgées en Allemagne, l’a finalement vendu à l’un des quatre fonds qui se battaient pour le décrocher : « Celui que nous avons choisi avait déjà une activité dans le secteur et sa proposition était… bonne », reconnaît volontiers l’entrepreneur lyonnais, qui se concentre désormais sur ses huit hôtels. Au contraire, Marc Sellam, le PDG-fondateur de Ionis Education – un groupe de 24 écoles dont il contrôle 80 % du capital –, refuse « de céder aux multiples sirènes des fonds et des investisseurs qui me contactent chaque jour en me proposant des valorisations plus folles les unes que les autres. Le marché actuel est inflationniste, voire fantaisiste : cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir de manière sensée et durable ».
Dynamique du non-coté
Fantaisiste, inflationniste ? Il y a de cela : le thermomètre des valorisations a pris un coup de chaud. La mesure, dans ce cas, n’est pas le degré Celsius, mais le multiple d’Ebitda. Il retranscrit la valeur d’une entreprise en nombre d’années de création de richesse avant charges. Or ce multiple, qui était de seulement 6,5 fois en 2012, a bondi à 11 fois cette année, selon le dernier indicateur Argos Wityu. A comparer aux multiples des sociétés cotées, qui ne se paient, elles, que 8,5 fois leur Ebitda en moyenne. « C’est un écart historique, explique Louis Godron, président associé d’Argos Wityu. Il confirme la dynamique du non-coté, dont les prix sont tirés par la politique d’acquisition active des grands groupes et par l’intérêt croissant des investisseurs pour cette classe d’actif ». Intérêt justifié, jusqu’à présent : entre 2004 et 2018, le private equity a rapporté en moyenne 14,2 % par an, contre moins de 8 % pour les actions cotées…
Comment résister à quelques dizaines de millions quand on veut se développer et que les moyens manquent ? Les 30 créateurs de start-up qui font leur entrée dans notre classement cette année n’ont pas réfléchi trop longtemps : ils ont accueilli des financiers à leur capital… Ce qui nous a permis de donner une valeur à une activité qu’il était jusque-là difficile d’estimer. Ainsi, c’est grâce à une levée de fonds de 150 millions que nous avons pu estimer la fortune des trois cofondateurs du site de prises de rendez-vous médicaux Doctolib, Stanislas Niox-Chateau, Ivan Schneider et Jessy Bernal. C’est également à l’occasion d’une levée de fonds que nous avons pu évaluer la fortune professionnelle de Mathieu Nebra et Pierre Dubuc, les cofondateurs d’OpenClassrooms, une startup proposant des modules de formation diplômants. Ces nouveaux noms côtoient Jonathan Cherki, fondateur de ContentSquare, pépite française spécialisée dans l’analyse prédictive du comportement client, qui a levé en janvier dernier 53 millions et Jean-Luc Robert, le fondateur de Kyriba. Cette Fintech tricolore, installée à New York, édite des solutions de gestion dans le cloud et a levé une centaine de millions de dollars auprès d’institutions et de fonds comme Bpifrance, Iris Capital, Daher Capital, HSBC et Sumeru Equity Partners. Doctolib, OpenClassrooms, ContentSquare, Kyriba, mais aussi Dataiku, Wind, Shift, Manomano, Checkr… La liste de ces nouvelles sociétés et de leurs dirigeants, qui pèsent désormais des dizaines, voire des centaines de millions d’euros, est longue. Elle confirme que l’économie française est bien, comme l’affirmait Emmanuel Macron, en train de passer de la « vieille économie » à une… « start-up nation ».
Crise des midcaps
Et cette « vieille économie », justement, c’est… la Bourse ! Notamment les titres des groupes familiaux industriels et de grande consommation, dont les cours décrochent. Eramet ? – 56 % en un an. Trigano ? – 50 %. L’an dernier, le CAC 40, l’indice des grandes valeurs, a reculé de 11 %. Mais l’indice des valeurs moyennes a perdu, lui, deux fois plus. Et les premiers mois de 2019 n’ont pas inversé la tendance. Les bons résultats des entreprises n’y changent rien : les investisseurs désertent la cote, et notamment les valeurs moyennes. Le groupe Plastic Omnium, dirigé avec talent par Laurent Burelle, a beau afficher un résultat net 2018 en forte hausse, à 533 millions, son cours a carrément chuté de 41 à… 21 euros. Du coup, la valorisation de la famille Burelle est passée de 2,9 à 1,5 milliard.
Quand les résultats du groupe sont médiocres, c’est encore pire. En témoigne la chute de tension de Boiron. Les descendants du fondateur du numéro un mondial de l’homéopathie ont vu leurs titres passer de 72 à 39 euros pour cause de déremboursement annoncé de l’homéopathie. Quant à Jean-Charles Naouri, qui contrôle le distributeur Casino, endetté et en pertes, il disparaît carrément de notre classement des 500 fortunes professionnelles de France. Lui qui, il y a six ans, figurait encore dans la liste des milliardaires…
Eric Tréguier
Les dix premiers du classement :
Première remarque, on peut distinguer le bon classement des industries du luxe, car l’argent appelle l’argent, les plus riches ayant besoin de dépenser leur fortune de plus en plus grande ; cette production n’est pas forcément utile à tous et ne répond pas aux besoins de la population et pourtant elle est le fait d’une activité industrielle non négligeable et brasse des richesses considérables.
Deuxième remarque, la finance qui dirigerait tout et serait à abattre selon nos grands « révolutionnaires » de tous poils ne commence à se montrer qu’en 22ème position avec la famille Rotschild, les 2 grands de la finance suivants étant seulement en 81ème et 118ème position. A méditer…
(Remarques de PB).