Intervention de Frédéric Boccara au CN du PCF des 17 et 18 septembre
1- L’état d’esprit dans le pays est fait d’inquiétude et de colère. Nous ne devons pas en être inquiet mais travailler les mobilisations, les idées et les perspectives. Il est fait aussi d’interrogations, de recherche sur le « comment fait-on », avec des questionnements pour dépasser l’électoralisme. C’est en tout cas ce que j’ai perçu dans cette fête de l’Huma si réussie.
2- A commencé à monter dans le pays un débat sur « les moyens » financiers. La taxation des « sur-profits » a été brandie par Jean-Luc Mélenchon et par Olivier Faure … mais aussi par E. Borne ! Cela devrait nous faire réfléchir… Bien sûr on ne va pas refuser de les taxer. Mais d’abord il faut taxer l’ensemble des profits. Et, surtout, il faut agir en amont sur ce que font les entreprises, leur gestion, leurs décisions. On ne peut pas les laisser polluer, licencier, délocaliser, comprimer les salaires, précariser, fragiliser les conditions de travail, etc. et les laisser s’en tirer par une simple taxation en aval, de leurs sur-profits. Il y a là un débat que nous pouvons faire monter.
Ce débat sur les moyens, E. Macron le travaille à sa façon, avec ses deux réformes très graves : retraites et chômage. La réforme des retraites ce serait prétend-il pour financer « notre modèle social » et celle du chômage pour tordre le bras aux chômeurs en leur faisant porter la responsabilité du chômage et des difficultés économiques. C’est-à-dire encore une fois, comme l’a dit Fabien dans son rapport, cacher le rôle des entreprises dans le chômage et même dans la conjoncture.
Précisément, la responsabilité des entreprises et du capital est considérable, et donc celle de l’Etat et des institutions politiques pour agir tout autrement sur les entreprises et sur les banques. D’autant plus que la domination du capital va de nos jours à l’encontre de toute la société pas seulement des travailleurs ou du monde du travail.
3- C’est dire le grand enjeu double du travail ― décisif comme apport à la société, à la production de richesses (y compris les services publics) ― et de la formation, immense exigence objective et subjective, d’émancipation humaine et d’efficacité.
C’est dans ce contexte que monte le débat sur le travail. Les droites veulent durcir pour les chômeurs, le monde du travail et cacher la responsabilité des entreprises, du grand patronat. Ils font en sorte que l’argent aille toujours plus aux profits, à l’accumulation, au capital. Ils opposent travail et emploi : E. Macron va créer « France travail », qui sonne comme une injonction « France, travaille ! ». Alors que du travail ceux qui ont un emploi en ont par-dessus la tête. En revanche l’emploi, ce sont les dispositifs qui encadrent le travail, c’est la façon de permettre le travail dans la société, c’est toute la dimension politique, voire civilisationnelle autour du travail et avec lui. Il faut donc porter le fer sur l’emploi, la création d’emplois, le type d’emploi, pour faire quoi, dans quelles conditions, etc. Le plein-emploi d’E. Macron s’accompagne toujours d’un certain niveau de chômage.
Face à cela, certains à gauche ont baissé les bras sur le chômage, proclamant depuis longtemps « la fin du travail », et s’en tiennent à un « revenu d’existence ». D’autres ont baissé les bras sur les entreprises et exigent une garantie d’emploi par l’Etat, qui embaucherait les chômeurs. C’est la position défendue dans le programme de la France insoumise. Mais la responsabilité des entreprises ? Mais l’immense besoin de formation ? Aussi bien pour les enseignants, les soignants, les aides à domicile, que pour les conducteurs de cars, les soudeurs, et même les ingénieurs ou les chercheurs. Il n’y aurait que le travail qui serait émancipateur.
Nous, il nous faut dépasser cela, sans jouer avec le feu, et ce n’est pas toujours simple. Nous voulons éradiquer le chômage et développer énormément la formation, pas seulement professionnelle mais aussi la formation pour se développer, la culture comme on dit, mais aussi le temps libéré, tout aussi bien durant la semaine ou l’année que tout au long de la vie, grand enjeu de civilisation dont la question de la retraite fait partie.
Dans ces batailles, d’idées et de luttes concrètes sur le travail et l’emploi, nous devons chercher à déboucher sur la question du rôle des entreprises et de l’utilisation de l’argent, avec une question : que fait la politique, que font les institutions, là-dessus ?
Mais, si le travail est incontournable dans notre conception émancipatrice, il fait malgré tout partie, comme le disait Marx, du domaine de la nécessité.
L’émancipation se fera en élargissant conjointement le domaine de la liberté, du hors-travail. L’émancipation, pour nous, ce n’est pas « tout le monde au travail et rien que le travail ». Notre projet de sécurité d’emploi ou de formation vise à organiser à la fois un droit effectif à l’emploi pour toutes et tous, un droit à la formation mais aussi une rotation, une mobilité de progrès, dans la sécurité entre les différentes activités, travail (rémunéré par un salaire), formation (assortie d’allocations étudiant, ou à hauteur du salaire), mais aussi les activités sociales libres comme la création culturelle, le sport, le jardinage, la découverte du monde ou encore la participation politique ou à la gestion, ou simplement la retraite. Ce qui renvoie en parallèle au besoin d’un progrès sans précédent des services publics, et de services publics d’un nouveau type.
Il nous faut voir cependant la grande nouveauté de la formation et son potentiel révolutionnaire, de luttes. Dépenser pour la formation (et pour les recherches) doit monter progressivement en régime pour devenir prédominant, par rapport aux dépenses d’investissement matériel. Pour désigner ce mix, investissement matériel, RD et formation j’ai proposé la notion de dépenses de développement. En même temps, la formation, ce n’est pas l’emploi. Mais nous ne voulons pas de la scission avec l’emploi qui existe actuellement, comme nous ne voulons pas une formation étroitement subordonnée aux besoins du capital ou même d’un emploi immédiat, ni même uniquement dans le cadre d’un contrat de travail. La formation peut être aussi une mobilité choisie. Mais appuyée par la société.
Nous voulons des politiques qui appuient énormément la formation, à tous les niveaux et à tous les âges, qui appuient les privés d’emploi, les familles… par des allocations nouvelles ! Nous sommes pour de nouvelles allocations : allocation d’étude comme nous l’avons porté durant la campagne, allocation de formation continue maintenue au même niveau que le salaire et qui prépare les transitions écologiques et productives, mais aussi allocations familiales ou allocations chômage musclées. Mais dans la perspective d’éradiquer le chômage. Nous sommes pour des allocations nouvelles qui n’enferment pas dans la dépendance mais ouvrent vers l’emploi et appuient les personnes. C’est tout l’opposé de la réforme portée par E. Macron et le Medef, appuyée par les droites, qui vise avant tout à tordre le bras aux chômeurs.
Nos gouvernants, imprégnés de leurs dogmes ultra-libéraux, ont deux soucis : (1) les profits des entreprises avant tout et (2) contraindre les chômeurs à prendre n’importe quel emploi, laissant croire qu’il suffit de « boucher des trous » de postes à occuper. Ils ne rendent même pas compte de cette crise, véritablement mondiale, du travail et de la formation, qu’expriment les pénuries d’emploi, elles aussi mondiales. Et ils travaillent la division entre catégories, à l’unisson de LR ou du RN qui dénoncent comme adversaire le voisin, chômeur ou prétendu assisté. Ils veulent porter cette division à incandescence.
Mais, comme les organisations syndicales, de la CGT à la CGC, en passant par la FSU ou Solidaires voire FO, ne nous en laissons pas compter.
Aller vers un nouveau système de « sécurité d’emploi ou de formation » est posé dans les faits par la vie. Ce serait une novation communiste profonde pour notre pays, qu’une gauche du 21ème siècle peut porter.
Il nous faut aider à hausser le niveau d’intervention et d’élaboration des communistes, ainsi que sa dimension collective. Je pense, comme le rapport le propose, qu’une campagne doit être organisée sur cette question, avec un collectif à désigner pour aider à le porter dans les différentes régions et fédérations.
***
Sur la marche proposée par Jean-Luc Mélenchon. On voit bien l’objectif que celui-ci poursuit. Dans le même temps, il y a besoin d’une initiative de masse. J’ai moi-même proposé une initiative nationale à notre CN de juillet dernier, mais avec notre conception, en alertant sur le fait que sinon il en prendrait l’initiative.
La démarche et le contenu de cette marche posent un certain nombre de questions. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à les poser. D’abord il y a un côté « grand soir », comme si cette manif allait tout changer, alors qu’il y a un processus de mobilisation sociale à développer dans le temps et en profondeur dans la société, ensuite il temps à couper société civile et monde du travail, et puis, elle est très protestataire, alors qu’il s’agit d’organiser le débat de solution et l’appropriation de solution, derrière un homme et un mouvement. D’autant plus, qu’enfin, bien sûr il faut des manifestations nationales, mais il faut aussi s’engager dans une démocratie nouvelle, une démocratie d’intervention citoyenne et salariale dans les différents lieux de décision, n’opposant pas mobilisation et gestion mais les combinant et faisant des gestions, des institutions publiques ou des entreprises, un enjeu de lutte.
Pour notre part, nous devons monter très fort la réussite des manifestations des 21 et 22 septembre… qui est loin d’être gagnée ! Nous voulons aussi développer la mobilisation d’idées, le débat de solutions et d’alternatives avec les gens. Dans ce cadre, nous voulons affirmer un certain nombre d’enjeux originaux, qui nous semblent indispensables pour la réussite d’une alternative, nous récusons donc l’idée d’une pensée unique à gauche.
Dans le même temps, nous voulons être avec celles et ceux qui luttent, affirmer et rendre visible une force populaire certes encore insuffisante, mais qui a besoin d’être confortée. C’est pourquoi, je pense qu’il faudra y être le 16, comme l’exprime aussi Fabien dans son rapport introductif. Mais à mon avis avec notre propre appel, nos slogans, notre banderole, rassemblant notamment tous les camarades de la région parisienne.
Mais à ce stade, il ne faut surtout pas qu’une échéance comme celle-ci chasse les échéances très importantes des 22 et 29 septembre. Et nous pourrions aussi affirmer d’autres échéances de mobilisation sous d’autres formes. Faisons tout, dans les semaines qui viennent, pour réussir les 22 et 29 septembre.
Publié dans PCF, Le débat sur l'alternative
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