Après le confinement « après » 18h, voici le confinement le week-end. Ah bon ! On peut se contaminer le soir après 18h, et le samedi et le dimanche mais pas pour aller au « turbin ». Le virus s’évanouit dès lors que l’on prend le chemin du travail ! La politique macroniste, durant la pandémie, ne perd jamais de vue qui elle doit servir en priorité : les entreprises. Pas la culture, pas la rencontre, pas les loisirs, pas les repas de famille ! Non, la valorisation du capital. Peu importe que ce soit une nouvelle fois les catégories populaires les plus sacrifiées, dans le transport et devant l’établi, le chantier, la caisse du supermarché, à l’hôpital ou au bureau. L’important pour le pouvoir et ceux qu’il sert, c’est l’économie comme ils disent. Doit-on rappeler que ce sont dans les quartiers populaires qu’on a le moins accès au vaccin. Les populations et les organisations démocratiques devraient se faire davantage entendre sur l’égalité d’accès au vaccin et sur la gratuité des masques.
Un nombre important de nos concitoyens doit faire face à la précarité (notamment énergétique), aux fins de mois de plus en plus difficiles, licenciements, chômage… La pauvreté de masse est si étendue que les organisations de solidarité sont dépassées. Ceci a lieu en France, sixième puissance mondiale en 2021. Un comble ! Et de quoi nous parle-t-on en haut lieu ? De sécurité globale, de séparatisme, de viande dans les cantines, d’écriture inclusive, d’islamo-gauchisme – lequel envahirait nos universités comme hier le « judéo bolchevisme » tenait le pays. Et le président descend dans l’arène du petit cirque médiatique en faisant joujou avec deux Youtubeurs. C’est dérisoire. Puis l’un des principaux ministres du gouvernement, celui de l’intérieur, discute un jour paisiblement avec la cheffe de l’extrême droite puis le lendemain avec un chroniqueur télévisuel porté par les vents du grand capital sur C-News, après avoir rendu sa copie au Figaro ?
Ne nous trompons pas : rien de ceci n’est dû au hasard. Tout ici est calcul. C’est la fumée qu’on pousse devant nos yeux pour camoufler l’essentiel : la violence de la lutte des classes engagée par les puissances d’argent contre les classes populaires. Ainsi, cette belle polémique autour de la viande à la cantine, alors qu’on ferme les restaurants, cache bien les millions de tonnes de viande importée des pays d’Amérique Latine et des USA contre nos élevages limousins et charolais.
Mais il y a une autre fonction cachée et plus insidieuse de ces polémiques politiciennes bien orchestrées : diviser, cliver. Diviser toujours, cliver encore. Polémiquer sur les repas d’une municipalité dirigée par un maire écologiste a pour fonction de faire monter les écologistes dans la perspective des élections à venir et donc de diviser et affaiblir le camp de la gauche. Reprendre les arguments de la droite (en les durcissant) avec la loi sécurité globale et l’islamo-gauchisme fantasmé dans quelques cellules noires proche du pouvoir a pour objectif de mettre la pagaille au parti « les républicains » et d’attirer leurs électeurs.
Un jeu dangereux s’impose : déporter sans cesse la politique du côté de la droite extrême et de l’extrême droite devenu « molle », trop « molle » selon le ministre de l’intérieur. En effet le parti d’extrême droite tend à se normaliser, avec l’acceptation de L’Euro, puis il y a trois semaines de l’espace « Schengen » et, voici une semaine, il s’est prononcé contre l’annulation des dettes. Autrement dit, les forces du capital préparent comme en Italie une nouvelle alliance pour sauver le système.
Le moment où la droite, le pouvoir et l’extrême droite circuleront en covoiturage n’est peut être pas si loin. Dans un tel contexte, face à un tel danger, inconscients seraient ceux qui ne travailleraient pas à une riposte unitaire aux côtés des penseurs, des intellectuels, des chercheurs, des ouvriers et employés, des privés d’emplois, des jeunes à l’avenir bouché. La riposte des 18 000 universitaires soit déjà 20% des enseignants du supérieur contre les accusations gouvernementales « d’islamo-gauchisme » est très intéressante et doit être confortée. Ce concept forgé de toute pièce par l’extrême droite a ceci de redoutable qu’il est destiné à exister par le seul fait d’en parler, de le propager pour créer une police de la pensée au moment même ou l’université est en souffrance, que des étudiants ont faim, que certains vont jusqu’au suicide.
Cette attaque est évidemment plus large : elle vise à créer une égalité de terme dans un imaginaire fantasmé entre Gauche, Islamisme et Terrorisme. La création d’un tel monstre fait froid dans le dos et peut avoir de dramatiques conséquences sur le rapport des forces politiques, sociales et culturelles contre les universitaires, les travailleurs, la gauche dans son ensemble. Personne ne sera épargné par un concept qui selon l’aveu même de la ministre des universités dans le Journal du Dimanche n’a aucun fondement scientifique mais correspond à « un ressenti de nos concitoyens » ; autrement dit, on fait exister de toute pièce un concept en lui donnant un nom, espérant que même sa vacuité va remplir un « impensé » et fabriquer des fantasmes contre La République. Le moment est sérieux, grave, préoccupant. Il est grand temps que nous nous levions. Empêchons la bête immonde de franchir le seuil de la porte !
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Le laboratoire italien ?
En lien avec ce que je viens de dire, je souhaite qu’on puisse s’attarder sur ce qui vient de se passer en Italie. Un basculement vers un scénario inédit d’une immense portée : la formation d’un gouvernement dit « d’union nationale » dirigé par ce que les médias du système appelle « un technicien » autrement dit une personnalité prétendument apolitique, Mario Draghi. Le motif ? Utiliser les 209 milliards du plan de relance européen présenté comme une manne salvatrice tombant du ciel. Or, il s’agit en vérité de 82 milliards de subventions et de 127 milliards de prêts qui s’étaleront sur une période de six années. Les subventions pour tous les pays européens seront alimentées par chaque pays de l’Union Européenne en fonction des richesses qu’ils produisent (ou PIB produit intérieur brut). Or, L’Italie devra contribuer pour ce plan à hauteur de 40 milliards d’euros. Ceci réduit donc la subvention à 42 milliards. L’Italie bénéficiera d’une aide européenne qu’on peut évaluer à 11 milliards par an sur six ans alors que la chute de son produit intérieur brut avoisine 160 milliards pour la seule année 2020. Le peuple Italien va donc être enchainé aux exigences des marchés financiers et aux demandes pressantes de la commission européenne agissant en leur nom. Ce sera le sens des nouvelles « contre-réformes structurelles » qui seront exigées. C’est la raison de cette union nationale au gouvernement. J’y reviendrai.
Voici donc celui qui a fait ses preuves comme garant des marchés financiers. Je parle de Mario Draghi. Il a fait ses classes sous les lambris dorés de la banque états-unienne Goldmann Sachs pendant que celle-ci s’illustrait en inondant les marchés de créances toxiques qui allaient déclencher la crise de 2008. Il a également maquillé les comptes d’Etats européens. Le voilà installé à la tête de la troisième puissance européenne à la demande des industriels et des banquiers avec l’ardent soutien de Mme Merckel et de M. Macron. A la présidence de la banque centrale européenne, il épongeait l’écroulement financier qu’il avait contribué à créer pour offrir des débouchés au capital en manque d’investissements lucratifs tout en exigeant des peuples privatisations et sacrifices sociaux, non sans avoir dépecé la Grèce au nom de la « stabilité monétaire ». Nous avons ici le prototype ce ceux qui sont présentés comme constituant « l’élite » pour cacher qu’il s’agit de valets du capital.
La grande nouveauté du scénario italien tient à un renversement des données d’un débat initié depuis plus d’une décennie, dans lequel, à la faveur de l’affaiblissement des partis communistes, il est expliqué depuis quelques années que « la gauche » et « la droite » ça n’existe plus. Les structurations politiques ont été déportées des enjeux des antagonismes de classe vers l’invention de catégories nouvelles comme « les européistes » ou « mondialistes » contre les « souverainistes de tout bord », le « peuple » s’opposant aux « élites », ou « les élites » contre les « populistes » de droite ou de gauche ; les cosmopolites contre les identitaires.
Dans chacune de ces oppositions « artificielles », c’est le capitalisme qui est toujours protégé tandis que la classe des travailleuses et des travailleurs est toujours plus exploitée et ses conquis rongés. Autrement dit l’affaiblissement des partis communistes et des anciens partis authentiquement sociaux-démocrates permet aux mandataires du capitalisme de redéfinir les clivages politiques, de brouiller tous les repères dès lors que les partis sociaux-démocrates sont devenus libéraux, que libéraux et socialistes ont voté ensemble tous les aspects des matrices politiques actuelles de l’organisation mondiale du commerce au Fond Monétaire international puis des décisions aussi lourdes que l’acte unique européen, le traité de Maastricht intégré par la suite dans le traité de Lisbonne. Ensemble, ils ont voté toutes les directives d’austérité de la commission et du conseil européen.
La crise du libéralisme ouvre elle même un espace à une droite extrême et à l’extrême droite détournant toujours les regards des exploités vers d’autres exploités : les immigrés, la concurrence de pays à bas salaire (que le capital organise lui-même) le prétendu coût du travail sans jamais parler des coûts monstrueux du capital.
Dit autrement, les mandataires politiques des forces du capital ont conquis une hégémonie politique dans les institutions et l’encadrement de L’Etat, les médias, pour détruire les conquis de la période du Front populaire et de la Libération.
Nous passons avec M. Macron a un nouveau stade puisque ce sont les avancées de la fin du XVIIIème siècle et du milieu du XIXème qui sont aujourd’hui violemment attaquées au travers des lois « sécurité globale » ou « séparatisme » sans parler de la loi « pacte ». Cela ne signifie pas que les tenants du pouvoir ont l’accord des citoyens pour le faire. Ils doivent même faire face à de puissants rejets. Mais leur hégémonie idéologique a pour effet de repousser à la marge les questions sociales essentielles : l’avenir de la protection sociale, les services publics, la rémunération du travail, la garantie d’un travail ou d’une formation pour chacune et chacun au profit d’enjeux sociétaux susceptibles de diviser de l’intérieur tous les partis politiques et la société.
Nous vivons un moment très particulier aujourd’hui en France : loi séparatisme, débats pour affronter la pandémie, urgence sanitaire, Trappes, viande dans les cantines, écriture inclusive, prise de position très réactionnaires, de ministres comme Darmanin et Blanquer. Signalons d’ailleurs brièvement ici que le parti de M. Macron veut se structurer en vue de la prochaine élection présidentielle en créant des « causes ». On parlera donc de tauromachie, du bio ou pas à la cantine, de la parité dans les conseils d’administration, du CAC40, du bien être animal, mais jamais des conditions de production, jamais évidemment des rapports de classe, du plein emploi, de l’augmentation des salaires, des services publics… La restructuration du champ politique, y compris par la promotion de l’extrême droite, est un projet idéologique et politique. Voilà qui explique ce qui est à l’œuvre en Italie.
Sous couvert de « gouvernement technique », l’alliance scellée sous l’égide de l’ancien président de la BCE réunit le Parti démocrate, la droite de Forza Italia, les populistes du Mouvement cinq étoiles et l’extrême droite de la Ligue du Nord. Autrement dit les représentants « des élites » et « les populistes » de toutes tendances qui, en apparence défendaient jusque-là des choix inconciliables. Rappelons-nous que la ligue du Nord de M. Salvini qui se prononçait pour la sortie de l’Euro devient l’alliée de son gestionnaire. Notons les mêmes mues de Mme Le Pen chez nous.
L’intérêt supérieur, ici, n’est autre que celui du capital européen qui compte bien faire du cas italien un cas d’école pour tous les pays européens. Car l’union nationale sert de parfait prétexte et de vecteur idéal à l’approfondissement des « réformes » imposées par la Commission européenne. La « réconciliation nationale » s’opère ainsi sous les auspices du marché capitaliste et d’un nouveau degré de financiarisation de l’économie. Mais surtout sur le dos des travailleurs qui sont une fois de plus appelés à servir de monnaie d’échange contre les lignes de crédit de la Banque Centrale Européenne.
Dans son discours d’investiture le 17 février dernier, M. Draghi est revenu avec force sur l’obligation de contre-réformes nouvelles pour renforcer la concurrence, simplifier le système des impôts au profit des plus fortunés, abaisser un certain nombre de prélèvements sur la capital, réformer l’administration publique, créer des pôles d’excellence pour l’industrie, la transition écologique ou la croissance. Il a insisté sur ce qu’il appelle « les entreprises Zombie » c’est-à-dire la multitude de PME qui ne fonctionnent pas dans le marché capitaliste et qu’il faut laisser mourir.
Bref, ce sont les recommandations européennes. Les mêmes qu’on nous ressasse en France. Son discours sera basé sur la nécessité de « réformes structurelles » pour obtenir les fonds du plan de relance européen. Par ricochet, la voie est ainsi ouverte aux néofascistes du parti Fratelli d'Italia pour incarner l’opposition à ce consensus bruxellois droitier, mais sur des bases précisément et ouvertement… fascistes.
Ce fameux discours de Mario Draghi en dit long sur la nature de ce consensus : une dose de xénophobie pour complaire à la Ligue du nord, une autre d’écologie pour satisfaire le Mouvement cinq étoiles, une suivante de baisse de la fiscalité sur le capital pour neutraliser la droite berlusconienne, et enfin une ode à l’Union Européenne pour s’accorder les faveurs du Parti démocrate. Le tout agrémenté d’un serment de fidélité à l’Alliance atlantique.
Les représentants des classes dominantes considèrent à juste titre qu’elles ne disposent plus de majorité populaire pour progresser vers l’étape nouvelle que réclame le système capitaliste pour son déploiement et sa survie. Elle travaille à l’alliance des anciens partis sociaux-démocrates et des forces baptisées populistes de droite ou de gauche pour tenter de s’assurer la majorité sociale et politique qui leur échappe, et d’éviter ainsi toute forme de contestation trop radicale.
Les mouvements sociaux discontinuent et celui des gilets jaunes avec le soutien massif qu’ils ont reçu, comme la sourde protestation qui se répand sur les enjeux de la santé fait cogiter en haut lieu et bien au-delà de la France. Ceci au prix d’une inquiétante redéfinition du champ politique qui se déporte toujours plus vers la droite et tend à gommer toute expression anticapitaliste.
Le mouvement de rupture entamé en Italie connaitra des secousses dans toute l’Europe : déjà des voix s’élèvent à la ligue du nord et au parti populaire européen pour que le parti de Salvini rejoigne le groupe PPE au parlement européen. L’ingestion par le pouvoir macroniste et la droite des thèses de l’extrême droite en France, spectaculaire ces derniers jours, laisse augurer une nouvelle recomposition politique si ceux qui ont intérêt à un changement de politique et de société ne se lèvent pas. Entre des pans entiers d’électorat socialiste conquis en 2017 et neutralisés depuis, et M. Darmanin qui braconne sans vergogne sur les terres idéologiques de l’extrême droite, l’arc macroniste n’est en effet pas si éloigné de celui de M. Draghi. Avec, encore une fois, les réformes structurelles contre les retraites, la propriété publique et la Sécurité sociale pour viatique.
De ce point de vue, le scénario inquiétant d’un duo de l’élection présidentielle Macron-Le Pen aboutit non seulement à boucher toute perspective de changement politique, social, démocratique, écologique mais il porte en lui-même des années « de sang et de larmes » pour les travailleurs et le peuple. Si, par malheur, l’extrême était élu, cela va sans dire ; mais si dans ce contexte M. Macron était réélu (pour un dernier mandat) il est certain que les contre-réformes des retraites, de L’Etat, du droit du travail, de l’école et de l’université et surtout c’est la sécurité sociale qui serait jetée dans les crocs des marchés financiers au nom du remboursement de la dette.
On observera dans l’actualité italienne que « la faiblesse de la force communiste » est un handicap pour le mouvement populaire et les travailleurs. Et il est à souligner que les forces qui avaient prétendu la remplacer, celles se réclamant du populisme, notamment de gauche, refusant d’organiser leur action sur une base solide de classe et recourant à des raccourcis souvent outranciers, n’ont pas créé de perspectives politiques favorables pour le peuple et se trouvent finalement ballotées par le vent politique. Jusqu’à se fondre dans un gouvernement au service des puissances financières.
Ceci nous oblige à faire plus de politique, à susciter des débats publics avec les citoyens. Ceci nous oblige à l’action. Les forces libérales, instruites par le succès de Trump et des extrêmes droites européennes, sont en train de pactiser avec ces dernières pour déminer le terrain d’une offensive redoublée contre les droits sociaux et démocratiques. Avec pour notable conséquence un glissement considérable du débat public vers l’extrême droite. La séquence xénophobe orchestrée par le pouvoir la semaine dernière - entre le rapprochement Darmanin/Le Pen, la loi séparatisme, la polémique sur Trappes puis sur un prétendu « islamo-gauchisme » - l’illustre parfaitement.
Cette opération d’envergure a pour principale fonction de rendre invisible le durcissement de la lutte de classes, les désastres sociaux, la corruption de l’industrie pharmaceutique, la misère galopante, et les mauvais coups en préparation contre le monde du travail, la jeunesse et les familles populaires sous prétexte des dettes contractées par l’Etat pour faire face aux conséquences de la pandémie.
Sans l’organisation d’une résistance contre la dé-civilisation capitaliste, sans force ni visée communiste rassembleuse sur un projet de civilisation nouvelle, la stratégie adoptée par les forces capitalistes risque d’entraîner notre continent vers de très sombres lendemains. Travailler à l’union populaire pour des changements de politique et de société relève d’une urgente nécessité.
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