Quand j’ai écrit, l’an dernier, mes mémoires, il s’agissait moins de raconter ma vie que de tenter de faire découvrir à travers un puzzle ce qu’avaient été les années qui avaient précédé puis suivi la chute de L’URSS. Et de poser quelques jalons pour comprendre ce qui s’était passé, ce choc dont certains ne sont toujours pas revenus. Le fond en était pour moi l’histoire d’une contre-révolution. Ou de décrire à travers les yeux d’un témoin qui découvre peu à peu ce qui s’est passé, ce qu’elle a réellement vécu, comment à partir des années soixante-et dix, se met en place cette ruée vers l’est du capital… mais l’affaire remonte plus haut, à la dissolution du komintern, avec la mise en place de ce qu’on appellera l’eurocommunisme, il y a de plus en plus inadaptation stratégique et chacun tente de faire face comme il le croit juste.
Si je devais ré-écrire ce livre pour en rendre la problématique plus lisible, je condenserais ce qui a pourtant une énorme importance pour moi, à savoir les relations familiales; pas nécessairement la Pologne, parce que c’est le lieu d’où part à la fois mon engagement et l’ébranlement planétaire et grâce à Monika, on le perçoit assez bien, non il s’agit plutôt des relations avec ma mère qui conditionnent certes mon ancrage prolétarien, mais dans lesquelles je suis prise dans ce maelström de l’identité féminine que sont les relations mère fille, c’est un autre sujet. En revanche j’aurais dû plus m’étendre sur ce que m’a appris Cuba alors qu’en même temps qu’avec mes étudiants, je découvrais le drame de L’Amérique latine et de l’Afrique. J’avais pensé faire un second volume, mais vraiment je ne m’en sens pas la force. Dans ce que j’écris aujourd’hui, il y a le besoin de connaitre un ailleurs qui n’est plus mon passé mais hélas pas mon avenir, puisque le temps me manque. Ecrire est pour moi de l’ordre de l’araignée tissant sa toile, une manière d’être en devenir.
Telles qu’elles sont ces mémoires apportent un éclairage inédit sur ce que nous avons vécu et je les croyais utiles. Elles ont été frappées de censure par la direction du parti, par sa presse, comme d’habitude. C’est dommage parce qu’il aurait fallu que dans le cadre de ce qui s’était passé au 38ème Congrès du PCF, la réflexion s’ouvre. Les jeux de fraction l’ont plus que jamais fermée… Le livre a trouvé un public, mais j’aurais voulu un dialogue qui s’avère impossible. Cela me dit ce que va être la célébration des cent ans du parti et surtout le fait qui m’inquiète beaucoup plus, la situation dans laquelle nous nous trouvons désormais en France.
Je me suis fait une raison et dans quelques temps, il en sera de ce livre comme d’autres, j’oublierai l’avoir écrit… C’est pour vous dire que le sujet d’aujourd’hui est autre mais s’il poursuit…
Dans cette histoire-là quoique l’on veuille me faire dire, à quelques rares exceptions flagrantes, il n’y a ni traîtres, ni salauds, il y la recomposition du capital, la manière dont il utilise sa propre crise pour partir à l’assaut du socialisme européen dont la clé de voûte est l’URSS. Il y a la découvert de la manière dont c’est le sud qui parait payer la note de cette contre-révolution.
LA VIOLENCE PARAIT INEVITABLE, ELLE EST DÉJÀ LÀ
Il y a ma propre tentative de chercher ce qu’il est encore possible de mener en France, parce que c’est mon pays, parce qu’il demeure pour une part celui que Marx décrit, celui de la lutte des classes. Mais les dernières phrases continuent à me hanter, aujourd’hui plus encore que hier.
“Ma conviction est que jamais il n’y aura de changement révolutionnaire sans violence et ce non pas parce que les révolutionnaires auront une stratégie violente et multiplieront les actes de destruction gratuites, comme des petits bourgeois, mais parce que jamais le capital et la bourgeoisie ne lâcheront le pouvoir sans avoir détruit un maximum de ce qui est vivant autour d’eux. Tout l’art du politique consiste désormais à se prémunir de cette violence tout en sachant qu’elle est inévitable.”
Avec ce que nous vivons à travers l’épidémie et les mesures adoptées par nos gouvernants, les polémiques stériles qu’ils nous imposent pour dévoyer notre colère, monte néanmoins la conscience que “l’après” ne saurait être la même chose qu’aujourd’hui. L’après est même devenu le sujet favori de certains qui cherchent à changer un petit quelque chose pour que tout reste à l’identique.
Pour que soit étouffé sous quelques applaudissement la découverte de qui est utile, qui ne l’est pas… qui est sous-payé, méprisé et qui est sur le devant de la scène ne cesse d’expliquer, de parler, de voler la parole de ceux qui se battent sans armes…
PARIS-ATHENES ET CUBA… ENTRE AUTRES
Pourtant ce qui demeure est sans doute de croire que l’après pourra être différent par l’opération du saint esprit, sans but puisque le seul but est le socialisme, tout autre n’est que ravaudage et combinaisons inutiles. Parce ces manœuvres de sommet nous ramènent à la case départ si ce n’est celle de la prison. Un après qui serait différent sans organisation en restant un parti pour lequel seulement 1% de la classe ouvrière vote un parti dont le message est si flou sur des questions essentielles, celles de son but et de ses moyens nationalisations, la planification dont il est désormais interdit de parler pour préserver les équilibres au sein des fractions qui s’opposent dans la direction, pas plus que la remise en cause de l’UE, ce qui contribue à l’étouffement organisé médiatique.
Ce vide-là non seulement risque d’être occupé de mauvaise manière par l’extrême-droite, mais il est très dangereux si l’on considère la nature du pouvoir qui se découvre jour après jour…
Ce qui s’est passé hier à Paris et à Athènes illustre cette mise en garde: à Paris quelques personnes avaient tenté de manifester sur la place de la République, une poignée. La police s’est acharné sur eux avec une inexplicable violence, excitée par le danger que feraient courir ces gens par temps de coronavirus alors que cette même police sert un gouvernement qui dans le domaine de l’irresponsabilité et des dangers a atteint des sommets. A quelques pas de là, Marine Le Pen déposait des fleurs sous la statue de Jeanne d’Arc sans être inquiétée.
A Athènes et dans toute la Grèce, dans chaque ville et village, le syndicat PAME et le parti communiste avaient organisé des rassemblements spectaculaires, respectant la distance mais occupant l’espace central. La police et le gouvernement grec ne sont pas d’une essence différente des nôtres, mais les militants sont organisés et ils n’ont rien eu à craindre. Ils n’avaient pas d’arme (ils sauront les trouver s’il le faut), simplement des drapeaux et la conviction ferme de partout dire calmement qu’ils sont là en train de chanter l’Internationale, que la ville, ses places et ses rues sont à eux sans demander d’autorisation à personne.
Oui durant cet épisode, quelque chose s’est radicalisé mais ceux qui nous gouvernent selon les intérêts du capital le savent et nous avons toute chance de les retrouver mieux conscients de leurs intérêts, mieux organisés et il ne nous sera pas fait de cadeau surtout si nous ne savons que proclamer notre bonté sans autre but autre qu’un vague humanisme.
Cuba aussi proclame son humanisme, mais il n’a rien de vague, il est arraché chaque jour aux terribles conditions du blocus. Il est concret, il est souverain et socialiste. Il nous dit que si nous nous parlons de la guerre, des risques d’embrasement, il est un grand nombre de peuples qui sont déjà en guerre… Qui subissent la violence impérialiste…
Si j’ai vécu avec un tel désarroi le refus du PCF de célébrer Lénine c’était parce que dans les temps que nous vivions , il représentait justement tout ce dont nous avions besoin, un but, le socialisme, une stratégie qui colle au terrain, l’utilise à partir des positions de classe… Faute de quoi nous allons vers dieu sait quoi…
Danielle Bleitrach
PS. à Propos de Lénine, les camarades du KPRF de Moscou qui avaient invité un certain nombre d’entre nous à la célébration du 150e anniversaire de sa naissance, nous avaient proposé d’envoyer une photo avec quelque chose qui le rappelle… Voici la vidéo qu’ils nous ont renvoyée.