Les dirigeantes communistes finlandaises alertent sur l’engrenage qui sera amorcé par l’adhésion de leur pays à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. PHOTO AFP
ENTRETIEN
Liisa Taskinen et Tiina Sandberg sont respectivement présidente et secrétaire générale du Parti communiste de Finlande.
La Marseillaise : Quelle est votre analyse de la volonté du gouvernement Finlandais d’adhérer à l’OTAN ?
Liisa Taskinen : La Finlande a acheté les premiers avions de chasse compatibles avec l’Otan appelés Hornet au début des années 1990, peu après la chute de l’Union soviétique. C’était le début d’une longue et déterminée campagne pour rejoindre l’OTAN menée en coulisses par des lobbyistes, des forces anticommunistes et réactionnaires. Mais les Finlandais conservèrent leur sagesse. Notre politique de non-alignement et de neutralité était très populaire. Ainsi, même le dernier rapport sur la politique étrangère et de sécurité du gouvernement de la Première ministre social-démocrate, Sanna Marin, réaffirmait cette ligne l’année dernière tout en mentionnant pour la première fois la Russie comme notre principal ennemi. L’attaque de la Russie contre Ukraine a tout changé. Ce fut un choc. En 1939, l’Union soviétique avai attaqué la Finlande, et aujourd’hui beaucoup de gens ont peur qu’une telle situation ne se reproduise. Pour les partisans de l’adhésion à l’OTAN, l’effet de choc crée une opportunité. Pour eux, les sondages d’opinion étant pro-Otan, il était donc temps d’agir, sans passer par un référendum chronophage. Je pense que Mme Marin, dès qu’elle est devenue Première ministre, a été très briefée par les militaires. Elle s’est engagée à acheter les nouveaux avions de chasse F-35A, les plus chers fabriqués aux États-Unis, et maintenant se charge d’achever le projet de rejoindre l’OTAN.
Pourquoi vous opposez-vous à ce projet et souhaitez le maintien de a neutralité ?
Tiina Sandberg : La Filande a une longue histoire. Elle fut une province orientale de la Suède, situé à côté de son ennemi la Russie. Notre pays a été un champ de bataille entre l’Est et l’Ouest, comme l’Ukraine, pendant des siècles, jusqu’en 1944. Après cela, les présidents finlandais Paasikivi et Kekkonen ont agi pour rompre avec cette situation par la neutralité, et ce fut l’un des principaux facteurs de succès de la Finlande pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. À nouveau, la Finlande est censée être sur la ligne de front. Nous ne croyons pas à la course aux armements et au militarisme pour créer la paix et la sécurité. La seule façon de construire une paix durable est de s’y préparer, pas de faire la guerre. C’est quelque chose dont presque personne en Finlande ne semble se souvenir en ce moment.
La Turquie d’Erdogan demande en contrepartie de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN que lui soit livré des militants du peuple kurde réfugiés dans votre pays. Les concessions faites par le gouvernement finalandais vous semblent-elles acceptables ?
Liisa Taskinen : Non pas du tout. Elles sont contraires à tous les accords internationaux sur les réfugiés. Cela montre aussi clairement quel genre de pion notre pays va être. Il est absurde que pour résister à un dictateur comme Poutine, la méthode consiste à faire la révérence à un autre. Ce n’est pas quelque chose qui met les Finlandais très à l’aise. Nous sommes habitués à choisir librement notre voie dans notre politique et c’est bien que nous devrions faire face à ce changement maintenant. Au sein de l’OTAN, la Finlande ne peut pas choisir librement ses alliés car nous serons soumis aux décisions des autres membres. Que cela nous plaise ou non, nous ferons partie de leurs crises et de leurs jeux politiques.
Que proposez-vous pour garantir la sécurité du peuple finlandais ?
Tiina Sandberg : Le seul moyen est d’annuler la demande d’adhésion à l’OTAN, ou de la repousser au parlement, et de revenir à notre ancienne politique. Il est également extrêmement important d’essayer d’influencer les termes d’un éventuel accord avec l’OTAN. Jusqu’à présent, la Finlande n’a pas exclu la possibilité de faire venir des armes nucléaires ou des bases de l’OTAN en Finlande.Ce serait un risque énorme pour la paix, puisque la Russie devrait réagir. La Finlande est trop proche des bases militaires de Saint-Pétersbourg et de Mourmansk.
Quelle est votre position à propos de l’accueil des réfugiés ukrainiens ?
Tiina Sandberg : Tous les demandeurs d’asile méritent un traitement sérieux et équitable de leurs demandes. Les Ukrainiens ont bénéficié d’un contournement de la procédure de délivrance des permis de séjour. Dans une certaine mesure, cela est acceptable. Il est regrettable qu’au lieu d’améliorer les conditions de tous les réfugiés, les privilèges des Ukrainiens sont peu à peu critiqués. Malheureusement, même en Finlande, le racisme n’est jamais loin.
Ne faudra-t-il pas une nouvelle conférence d’Helsinki comme celle qui avait débouché en 1975 sur les accords garantissant aux États signataires leur souveraineté et leur imposant le non-usage de la force ?
Liisa Taskinen : Oui ! Plus que jamais ! En 2025 sera le 50e anniversaire du Sommet d’Helsinki sur la sécurité et la coopération. L’année dernière, notre président Niinistö a souligné son importance. Peu de temps après, il était ouvertement pro-OTAN, ce qui, à mon avis, affecte la crédibilité de ses propos. En tant que pays non aligné, la Finlande est connue comme un garant de la paix et un médiateur des négociations de paix, ainsi qu’un lieu de négociation. Cette position doit être restaurée !
Propos recueillis et traduits par Léo Purguette
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