MACRON ET L’ARISTOCRATIE RÉPUBLICAINE MÉPRISENT LES CLASSES POPULAIRES.
Le chef de l’État « nous mène dans le mur », affirme Guillaume Duval. Dans « l’Impasse », le journaliste spécialiste des questions économiques étrille le système de pensée macroniste, un paradigme élitiste, ultralibéral et déficient. Entretien.
Dans votre ouvrage, vous avancez que le « péché originel » de Macron, c’est d’appartenir à « l’aristocratie d’État ». En quoi cela explique ses choix politiques ?
Guillaume Duval : En France, l’État-nation s’est construit d’en haut par la mise en place d’un appareil d’État. Historiquement, celui-ci n’est pas au service de la population, mais au service du prince. Cela se traduit par le développement d’une sorte d’aristocratie diplômée : les énarques qui sont à la tête des grands corps de l’État, mais sont aussi souvent parachutés à la tête de grandes entreprises privées. Le propre de ces élites, c’est de penser qu’elles savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui.
Comme François Hollande, Emmanuel Macron est le produit de cette aristocratie, mais il marque une étape supplémentaire: c’est « l’énarchie », à la fois de droite et de gauche, qui se débarrasse des partis de gouvernement pour exercer le pouvoir directement. De cela découle sa manière de diriger, en faisant fi des corps intermédiaires : on retourne à une logique purement bonapartiste, verticale, descendante et autoritaire, parfois antidémocratique. Il se prend pour un Bonaparte qui serait un général d’armée civil.
Prenez la polémique sur les chèques d’allocation rentrée. Emmanuel Macron et l’aristocratie républicaine qu’il incarne se caractérisent par un mépris des classes populaires. Il y a l’idée que les pauvres ne savent pas se comporter avec l’argent qu’on leur donne, tandis que l’élite qui sort des mêmes écoles qu’eux est forcément rationnelle et vertueuse.
Le président a misé sur la baisse des dépenses publiques. En quoi est-ce une erreur ?
Guillaume Duval : Dans le monde, les vrais ultralibéraux sont souvent des hauts fonctionnaires qui ne comprennent pas l’économie de marché et son fonctionnement.
Ce sont eux qui ont donné, un peu partout, la priorité à la baisse des dépenses publiques, dans le sillon du consensus de Washington, de Reagan, Thatcher... Emmanuel Macron et l’inspection des finances par laquelle il est passé sont sur cette ligne-là depuis quarante ans. Le problème, c’est que cela repose sur une analyse qui est fausse. Nos sociétés ont au contraire de plus en plus besoin de biens publics pour pouvoir fonctionner. Vouloir abaisser l’emploi public, c’est se tirer une balle dans le pied. On dépense, par exemple, deux fois moins que la plupart de nos voisins pour le fonctionnement de la justice. Il n’y a vraiment pas de quoi être fier tant c’est contre-productif.
On peut certes accorder à Macron d’avoir su laisser filer les dépenses pendant la crise, même si le « quoi qu’il en coûte » est resté très inégalitaire, avec beaucoup pour les entreprises et très peu pour les très pauvres. De toute façon, ce n’était visiblement que passager. Il entend désormais reprendre sans délai la baisse des dépenses relatives à l’assurance-chômage ou aux retraites. Il ne comprend pas que la dégradation des services publics est négative, y compris pour l’économie privée : si l’école marche mal, si le système de santé ou judiciaire est défaillant, c’est mauvais pour les affaires.
J’ajoute que la dépense publique est un des outils qui permet à la France de corriger des inégalités territoriales fortes, chose dont ne se soucie guère le président, puisqu’il est élu par des couches urbaines et privilégiées.
La fin du « quoi qu’il en coûte » est justifiée, selon Macron, par la nécessité de rembourser la dette…
Guillaume Duval : Je n’ai jamais été vraiment partisan de laisser filer la dette publique. Ceux qui laissent filer la dette publique sont des gens de droite qui préfèrent emprunter aux riches plutôt que de leur faire payer des impôts. En réalité, il est tout à fait possible de diminuer les déficits en taxant davantage les plus fortunés, d’autant plus que ceux-ci se sont enrichis pendant la crise.
Autre erreur de Macron, selon vous, l’obsession du « travailler plus ». On le voit avec le discours sur les retraites ou encore la remise en cause des 35 heures.
Guillaume Duval : La France compte 6,4 millions d’inscrits au chômage. Dans un contexte pareil, dire que la priorité est d’allonger le temps de travail de ceux qui ont déjà un emploi, notamment à temps plein, c’est une aberration. Cela ne peut se faire qu’aux dépens du chômage.
Encore une fois, cette idée provient d’une analyse qui est fausse : on travaillerait moins en France que dans les autres pays développés. Ce n’est pas vrai.
Nous travaillons en moyenne 34,8 heures par semaine. Au Danemark (32,9), en Allemagne (34,6), ou aux Pays-Bas (30,1), c’est moins. C’est dû notamment au fait que les femmes, dans ces pays, et singulièrement en Allemagne, travaillent souvent en temps partiel ou très partiel. C’est donc l’effet d’une répartition encore plus inégalitaire que chez nous du temps de travail entre les hommes et les femmes. Chez nous, ce genre de compromis social est inacceptable et inaccepté, ce qui est très bien comme ça.
Donc la solution reste la réduction du temps de travail des salariés à temps plein, ce qu’on avait fait avec les 35 heures et qui avait bien fonctionné, contrairement à l’idée reçue. Il y a une mauvaise perception des 35 heures, car cela revient à dire aux salariés de se serrer un peu la ceinture pour laisser de la place aux chômeurs. Vous faites 3 millions d’heureux et 30 millions de mécontents qui ne voient pas les effets positifs d’une telle réforme.
Il faut donc passer aux 32 heures, comme le proposent le PCF ou Jean-Luc Mélenchon ?
Guillaume Duval : Les 35 heures ayant laissé un souvenir assez négatif malgré leur succès, il faut peut-être envisager d’autres options. Par exemple, instaurer six mois de congé sabbatique rémunéré tous les cinq ans, ou un an de congé sabbatique tous les dix ans. Cela correspond à une baisse de 10 % du temps de travail et pourrait répondre davantage à la demande sociale, comme celle de pouvoir partir en vacances longues avant la retraite…
Imaginons que Macron achève son mandat en 2022 en perdant les élections. Comment résumeriez-vous la France qu’il laisserait ?
Guillaume Duval : C’est une France qui n’aura pas été renforcée sur le plan économique, avec un système de santé fragile, une université dans un état déplorable, une école profondément inégalitaire.
Elle n’a pas beaucoup avancé sur la question environnementale, car celle-ci nécessite de lutter contre les inégalités. Au contraire, la société est davantage éclatée, socialement et territorialement. Elle est aussi plus violente, plus défiante à l’égard des institutions, alors que, parallèlement, se développe l’autoritarisme d’État.
En résumé, c’est une France mûre pour basculer vers l’alliance de la droite radicalisée et de l’extrême droite, si les gauches et les écologistes échouent à se réunir d’urgence et à offrir une alternative.
Entretien réalisé par Cyprien Caddeo Publié dans l'Humanité
Guillaume Duval : Ingénieur de formation, Guillaume Duval a longtemps travaillé pour des multinationales, avant d’embrasser la carrière de journaliste et rejoindre le mensuel « Alternatives économiques », dont il fut rédacteur en chef. Cet ex-membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) cherche, dans son nouvel ouvrage, à nous désintoxiquer de l’imaginaire libéral.
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