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Fabien Roussel face au ELLE : « Le courant intersectionnel divise les femmes »

 

Fabien Roussel face au ELLE : « Le courant intersectionnel divise les femmes »
Fabien Roussel © Dorian Prost

Quelle vision pour les femmes ? Quelles mesures ? Chaque semaine des candidats briguant l’Élysée nous répondent. Aujourd’hui, Fabien Roussel, candidat communiste, se décrit comme « un militant du bonheur ». Il l’assure : « Le plaisir est de gauche ! »

par 
Ava Djamshidi 
,
Patrick Williams
 

Les « jours heureux » sont-ils en train de s'assombrir pour Fabien Roussel ? Une récente enquête de « Mediapart »  – sortie après l'entretien que nous avons réalisé du candidat du Parti communiste français – révèle qu'il aurait touché pendant cinq ans un salaire d'attaché parlementaire, entre 2009 et 2014, sans avoir fourni aucun travail sérieux en contrepartie. Réponse de Fabien Roussel sur Europe 1, le 21 février : « J'ai travaillé pendant ces cinq années… Je n'ai jamais gagné 3 000 euros... J'ai les documents... Mon travail est dans tous les discours, les questions écrites, les combats, les lois menés par Jean-Jacques Candelier, dont j'étais l'attaché parlementaire. » Saura-t-il se sortir de cette polémique ? Arrivera-t-il à rebondir ? La question mérite d'autant plus d'être posée que jusqu'à peu, dans le camp de la gauche, il était l’une des surprises de cette présidentielle. Au coude-à-coude avec l’écologiste Yannick Jadot dans les sondages, le candidat communiste fait mieux que Christiane Taubira et Anne Hidalgo. Un engouement inattendu autour du chti et de son programme « vintage », dans lequel le député du Nord défend le nucléaire, le steak frites, et se dit peu enclin au « wokisme ». Surtout, avec un phrasé clair et enthousiaste, il vante le retour aux « jours heureux » et aspire à réintroduire le plaisir en politique.

 

Le 14 février, jour où nous l'avons rencontré, alors que démarre l’entretien, le candidat, apercevant notre photographe, enfile une veste… 

 

ELLE. Pourquoi porter un costume est-il si important ?

FABIEN ROUSSEL. J’ai en mémoire l’histoire d’un délégué syndical, dans le Nord. Son entreprise était en conflit avec l’actionnaire américain. Quand il a fallu négocier avec le grand patron, venu des États-Unis, les ouvriers se sont cotisés pour lui payer un costume, pour que ce délégué aille discuter avec lui d’égal à égal. Il y est allé habillé en costume pour représenter dignement les ouvriers. C’est ça que j’essaie de faire : représenter dignement le monde du travail.

 

À lire >> Fabien Roussel peut-il rendre le communisme tendance ?

 

ELLE. Ian Brossat, votre directeur de campagne, a dit que l’on n’a pas besoin d’être communiste pour voter Fabien Roussel. Qu’est-ce que cela veut dire ?

F.R. On ne demande pas la carte d’identité politique des électeurs. Quand on se présente à ce scrutin, on doit être le Président de tous les Français. Au fil de la campagne, je mesure que, si les électeurs votent pour un projet, beaucoup d’entre eux choisissent aussi une personne. Je le ressens au gré de mes rencontres avec des Français qui n’ont jamais été communistes, mais qui veulent voter « Roussel ».

 

ELLE. Vous avez le communisme honteux ?

F.R. Je suis le secrétaire national du Parti communiste français. L’idéal que nous défendons a des racines profondes en France. C’est un idéal de justice, de paix, de solidarité. Je l’assume à 1000 %. C’est aussi celui qui a défendu le droit de vote des femmes. C’est nous qui l’avons inscrit dans la loi, en 1944, avec Fernand -Grenier, né à Tourcoing, qui fut député de Saint-Denis. Et nous en sommes fiers.

 

ELLE. Vous vous revendiquez féministe, mais de quel féminisme ?

F.R. Résolument universel ! Hommes et femmes, ensemble, nous devons combattre les dominations imposées par un système économique qui crée beaucoup d’inégalités, et des formes de dominations patriarcales que nous contestons. On sera plus forts et efficaces en menant ce combat ensemble plutôt que chacun dans son coin.

 

ELLE. Vous ne sentez pas proche du mouvement woke ?

F.R. Non. D’abord, je n’utilise pas ce terme que j’ai eu du mal à comprendre. Après en avoir saisi les contours, je regrette que ce courant range dans des cases les personnes qui subissent des discriminations en fonction de leur couleur de peau, de leur religion ou de leur genre. Le courant intersectionnel divise les femmes, et nous divise.

 

ELLE. Votre campagne a réintroduit la notion de plaisir, vous vantez le retour des « jours heureux », comme le dit votre slogan électoral. Pensez-vous que la gauche avait délaissé le thème du bonheur ?

F.R. À donf ! Oui, le plaisir est de gauche ! Oui, jouir, c’est de gauche ! Je suis un militant du bonheur. Dans l’histoire, la gauche a porté le bonheur d’être à la retraite à 60 ans, le bonheur de la cinquième semaine de congés payés, le droit aux vacances, pour profiter de la vie ! L’art, la culture, la gastronomie française ! Je défends le droit au beau et au bon. Le bonheur, c’est français, et c’est de gauche.

 

« ON A EU UNE GAUCHE DONNEUSE DE LEÇONS ET MORALISTE. »

ELLE. Comment expliquez-vous que cet idéal ait été mis de côté ?

F.R. On a eu une gauche donneuse de leçons et moraliste. C’est bien facile, quand on a tout, de dire à ceux qui n’ont rien qu’ils ne peuvent pas manger de viande, rouler en voiture ou faire des barbecues dehors parce que ça pollue. Qu’avoir un pavillon à la campagne ce n’est pas bien pour la nature… Je défends une tout autre conception de la vie et du droit au bonheur. Je ne demande pas le droit de polluer. Je veux bien lutter contre la pollution de l’air, mais sans taper sur les classes populaires.

 

ELLE. Vous vous inscrivez en opposition à quelle gauche ? Celle que l’écrivain Nicolas Mathieu qualifie de « gauche hypokhâgne » ?

F.R. Ce n’est pas très sympa pour ceux qui ont fait hypokhâgne, que je respecte. On a besoin de khâgneux et d’énarques au service de la nation. Je respecte ceux qui mangent végétarien, végétalien, qui consomment des produits que je n’aime pas : bio, qui viennent de loin, comme le quinoa ou le tofu, que je découvre dans les boutiques Cojean… Ça me fait délirer.

 

ELLE. Pourquoi ?

F.R. [Il sort son portable.] J’ai pris des photos ! Je montre ça dans le Nord, et je leur dis : « Regardez ce qu’ils mangent ! » [Il lit.] « Perles de chia blue moon framboise avec des graines de chia bio au lait de coco blue matcha. » « Ramen de konjac aux légumes dans un bouillon miso, nouilles de konjac, œuf poché, carottes, chou blanc, shiitake, shimeji. » 10,90 euros les 100 grammes ! Il y a un sujet, quand même… Je respecte. Le mec qui mange ça, c’est son choix. Mais il ne faut pas me l’imposer, ce n’est pas un projet de société, ça ! La gauche Cojean existe, je la respecte, mais ce n’est pas la mienne.

 

ELLE. Pensez-vous qu’une alliance avec les candidats de gauche augmenterait vos chances ?

F.B. Nous sommes la seule force politique à parler aux autres. Nous discutons autant avec Les Insoumis qu’avec les Socialistes et les Verts, mais nous devons, pour relever les défis, nous unir le plus possible dans la mesure où nous sommes d’accord sur les réformes. C’est ça qui doit nous unir. 

 

ELLE. Pour y parvenir, est-ce que vous pourriez vous ranger derrière une autre candidature de gauche ?  

F.B. À 55 jours du premier tour de la présidentielle ? Bah non ! J’ai pris des positions fortes, à gauche, différentes. Sur l’énergie nucléaire à côté des énergies renouvelables, sur le wokisme… Et on devrait effacer ces idées qui conquièrent des abstentionnistes ? Elles convainquent des électeurs égarés à l’extrême droite. Je fais œuvre utile pour la gauche et la République ! Je ne prends des électeurs à personne… et puis mes concurrents sont très bas, alors que je monte !

 

ELLE. Vous consacrez tout un chapitre de votre programme à ce que vous appelez « la révolution féministe ». En quoi cela consiste-t-il ?

F.R. Nous avons absolument besoin de cette révolution féministe. Les femmes représentent la moitié de la population, la moitié de l’humanité. Et pourtant elles restent toujours discriminées, méprisées, peu écoutées. Prenez l’égalité salariale hommes-femmes : il y a eu quatorze lois en France depuis Yvette Roudy, et néanmoins on est toujours loin du compte. Il est temps de prendre les choses en main.

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Crédit photo : © Dorian Prost

 

ELLE. Justement, vous dites que si vous êtes élu, vous parviendrez à imposer l’égalité salariale, en six mois dans le public, en un an dans le privé. Pourtant, vous venez d’en parler, il existe encore des blocages. Pourquoi votre méthode marcherait-elle mieux qu’une autre ?

F.R. Parce que les autres n’ont prévu aucune sanction, fixé aucun moyen de coercition pour obliger les entreprises, les financiers, le capital à faire respecter cette égalité. Je suis plus déterminé. Dans la fonction publique, les administrations auront six mois pour le faire. Dans le privé, on nommera, si nécessaire, des administrateurs judiciaires qui seront chargés de corriger les différences de salaires. Évidemment, cette mesure va représenter un coût, quelques dizaines de milliards d’euros. Mais cet argent, c’est un argent qui, aujourd’hui, manque dans le porte-monnaie des femmes, dans leur vie quotidienne !

 

ELLE. Comment faire pour modifier la perception de certaines professions, et inciter les petites filles à embrasser des carrières qui passent indûment pour masculines ?

F.R. C’est un vrai problème. Dans les professions industrielles, on manque de soudeurs, d’électriciens, de chaudronniers… Modifier la vision de ces métiers commence à l’école. D’où l’importance du volet éducation que je développe dans mon programme. Je veux mettre le paquet sur l’enseignement. Aujourd’hui, on pourrait susciter des vocations dans nos collèges, y compris chez les filles. Si on veut réindustrialiser la France, ça ne peut pas reposer que sur les hommes.

 

ELLE. Les serviettes hygiéniques coûtent très cher. Vous souhaitez les rendre gratuites pour toutes. Faut-il nationaliser leur production ?

F.R. On n’est pas obligés de nationaliser. Il existe différents moyens d’agir sur les prix, notamment en les encadrant. Quoi qu’il en soit, c’est une mesure qui nous paraît importante. Pendant la pandémie, nous avons apporté de l’aide alimentaire aux étudiants – j’y ai moi-même participé – et nous nous sommes aperçus que les jeunes femmes demandaient des serviettes hygiéniques. Il y avait un véritable manque de ce côté-là, qui les mettait dans une situation difficile. C’est une mesure d’égalité de pur bon sens.

 

ELLE. La question de la prostitution divise les féministes. Êtes-vous pour son abolition ?

F.R. Nous combattons la marchandisation des corps. On ne vend pas son sang, son vagin. Je suis pour l’abolition de la prostitution, cela nous permettra de nous attaquer à la pédopornographie, mais aussi à l’industrie du sexe, qui se libéralise sur Internet. Elle fait énormément de mal à des jeunes filles qui croient faire du cinéma, mais qui se retrouvent esclaves sexuelles. C’est dans le même esprit, et pour les mêmes raisons, que nous sommes opposés à la GPA.

 

ELLE. Le parti communiste chinois compte intervenir auprès des plannings familiaux pour réduire le nombre d’avortements, afin de relancer la natalité. Qu’en pensez-vous ?

F.R. Relancer la natalité me paraît une bonne chose. Surtout si cela permet d'enlever la chape de plomb qui pesait sur les femmes chinoises en raison de la politique de l'enfant unique et qui les amenait à avorter. Maintenant, il ne faut pas que cela se fasse de façon contraignante et que, après avoir obligé les femmes à avorter, on les oblige aujourd'hui à avoir des enfants ! Je suis souvent interrogé sur la Chine. J'aimerais rappeler que je ne partage pas la conception du pouvoir qu'a le PC chinois : le principe d'un parti unique, très directif, très autoritaire. Ce n'est pas ma conception de notre démocratie.

 

ELLE. En cas d’élection, est-ce que vous vous installerez seul à l’Élysée ?

F.R. Je suis pour redonner le pouvoir au Parlement et pour que le président de la République ne concentre plus autant de pouvoirs. Si je suis élu, je mettrai en place une réforme qui ira dans ce sens. Je n'ai pas une conception monarchique du Président, qui paraderait avec son épouse, laquelle serait dotée d'un statut de première dame, comme si elle était une princesse. Bien sûr, la fonction fera que je serai obligé de passer du temps à l'Élysée. Et j'espère que ma femme pourra parfois m'accompagner. Mais elle a son travail et nous aurons toujours notre vie à Saint-Amand-les-Eaux, dans le Nord, où se trouve notre maison, où nous pourrons nous ressourcer. Il est important de rester quelqu'un de normal. On peut vite être déconnecté en logeant à l'Élysée.

 

ELLE. Si vous deviez ériger une statue à une femme, à qui est-ce que vous penseriez ?

F.R. À Martha Desrumaux, une grande féministe, syndicaliste, résistante, également élue communiste. Elle a été l'une des premières femmes député en France, en 1945. Elle a défendu sans relâche les ouvrières dans le textile et pouvait se montrer très critique vis-à-vis des dirigeants communistes de l'époque. Elle a fait grandir la condition ouvrière, féminine.

 
 


27/02/2022
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