Enfin quelqu'un d'autre vient dire que la parti communiste c'est le jour et la nuit avec le parti que nous avons connu, dans mes mémoires je dis la sympathie que j'ai pour Maxime et l'injustice du sort qui lui a été réservé par des gens snobs et qui ne le valaient pas. je suis ravie de le retrouver tel que l'éternité le change et il n'est pas le seul à dire ce qu'il dit même si d'autres n"osent pas parler en public de peur de donner des armes à la bourgeosie, c'est en se taisant qu'ils les donnent, mais enfin chacun juge en son âme et conscience par rapport à la liquidation du PCF. j'ignorais que l'on avait le même âge, que l'on avait vécu la guerre enfant et adhéré en 1956 tous les deux... Pouerant nous sommes deux personnalités différentes, mais pour moi l'intelligence n'a rien à voir avec celle consacrée par des snobs qui sont de fieffés imbéciles, Maxime savait quand on prétendait le manipuler.  (note de danielle Bleitrach)

Par Dominique Albertini et Jérôme Lefilliâtre - Portrait par VD, photos DR et illustrations Olivier Laude.

 

Le grand public le connaît surtout pour ses éclats spectaculaires - son dernier ayant signé la fin de sa carrière politique. Mais Maxime Gremetz, alias « Mimine », c'est un peu plus que cela. Derrière la punk-attitude de l'ex-député de la Somme, il y a un parcours atypique, beaucoup de boulot et un vrai morceau d'histoire du PCF. Nous avons rencontré le « dernier député ouvrier ». Deux heures d'entretien, où il est question d'oies antifascistes, de vacances à Yalta, de chasse à courre et du FC Abbeville...

(Entretien réalisé quelques jours après sa démission en mai 2011)

 

Qui êtes-vous, Maxime Gremetz ?

Je suis le seul député ouvrier de l'Assemblée nationale [il rigole]. Maintenant y'en a plus.

Vous auriez pu continuer à l'être...

Oui, mais dans la mesure où je n'ai pas les moyens de remplir mon mandat, je ne veux pas toucher la paie, je ne veux pas avoir les avantages d'un député sans les mériter.

On récapitule : vous avez démissionné de votre mandat de député, après avoir été exclu de votre groupe parlementaire [communiste surtout, et écologiste un peu, ndlr] et temporairement banni de l'Assemblée après avoir mis un sacré souk dans une réunion sur Fukushima. [Alors que l'ambiance est grave et recueillie, Max' débarque furibard, ordonne aux deux ministres présents de bien vouloir dégager leurs voitures et s'offre un quart d'heure de scandale]. Votre version de l'histoire ?

Bah, j'ai demandé à ce qu'on bouge les grosses voitures cylindrées - les noires - de devant l'immeuble Chaban-Delmas, l'immeuble de l'Assemblée, où je loge, où je couche, où je mange. Quand vous avez dix voitures noires, avec les chauffeurs qui fument, qui discutent, les gens regardent et se disent : « Alors, les voitures noires ! » Et ils n'en peuvent plus ces pauvres gens ! Ça donne un spectacle lamentable, ça fait le jeu du Front National ! Je n'accepte pas ça. Donc j'ai demandé qu'on libère au moins l'immeuble, qu'ils aillent se garer ailleurs...

Cet esclandre...

[Indigné] Ce n'est pas un esclandre!

Vous ne trouvez pas que...

Si Debré avait encore été président de l'Assemblée nationale, ç'aurait été réglé en une seconde ! Il aurait dit « Vous faites dégager ces voitures », c'est clair ! Moi j'ai demandé ça, on me dit « Pas moyen, pas tout de suite » etc. Alors je suis descendu. Y'avait une réunion, des ministres, Besson, Proglio, Areva, tout ce qu'on veut... Bon, j'ai pas pensé du tout que c'était la réunion sur Fukushima...

Si vous l'aviez su, vous ne l'auriez pas fait ?

Non, certainement pas, non...

Vous ne pensez pas être allé un peu loin ?

Non, pas du tout. Je ferai toujours respecter le Parlement, comme Jean-Louis Debré. Lui, il était équitable entre l'opposition et la majorité. C'est un gaulliste, je le respecte. On est potes.

« Je suis le député le plus populaire »

Vous êtes pote avec des députés de droite ?

Bien sûr, on n'est pas des sauvages ! Je suis le plus populaire des députés. Si vous allez à l'Assemblée, tous les gens de droite viennent me saluer, parce que je suis un ancien, parce qu'ils préfèrent des gens qui ont des convictions que des gens qui n'en ont aucune. Debré, quand on commençait un dossier, il disait : « Combien on prend ? Bon, un mois. » Et on partait sur un mois, et il laissait le temps du débat, et il n’était pas aux ordres du gouvernement. Il faisait respecter l'Assemblée nationale ! Jamais il n'aurait accepté ce qu'a accepté Accoyer : supprimer 141 interventions sur le dossier des retraites. Lui, c'est un lâche, un toutou au service du gouvernement. Il ne rêve que d'une chose, c'est d'être ministre ! Le gouvernement demande, il fait. C'est pas un homme ça, c'est pas un président de l'Assemblée nationale !

Terminons sur cette réunion : on ne peut pas dire que les communistes présents aient volé à votre secours...

Évidemment, j'ai un désaccord politique avec le PC. Depuis huit ans, on me refuse ma carte du parti alors que j'en suis membre depuis 1956.

Ce n'est plus le parti de vos vingt ans...

C'est le jour et la nuit ! On va vers la liquidation du PC, ils ont même posé la question d'un changement de nom mais la base a réagi contre ça. Alors ils le diluent dans un « front de gauche ». Y'a plusieurs façons de liquider un parti communiste, vous savez... J'ai été responsable pendant quinze ans des relations internationales du PCF, j'ai assisté aux congrès des PC portugais, grec, j'ai vu comment ça se passe : vous le changez de l'intérieur ou vous le diluez dans des alliances.

En France, ça a commencé quand ?

Ça a commencé avec Robert Hue. A l'époque, j'étais un des premiers dirigeants du PC. Mais au congrès de Martigues [en 2000, ndlr], j'ai démissionné de toutes mes responsabilités. J'ai dit, un, avec cette politique-là on va dans le mur, deux, je n'aime pas être membre d'une direction qui ne décide de rien et où on apprend les décisions ailleurs. Visiblement, je ne me suis pas trompé sur le « on va dans le mur »... Bon, l'avantage avec Robert Hue, c'est qu'on pouvait encore avoir un débat politique. Puis il a passé la main à Buffet, qui l'a passée à Pierre Laurent, que j'ai connu sur les plages à Yalta [sur les bords de la Mer noire, en Crimée, ndlr]...

Pardon ?

Oui, à l'époque, les PC au pouvoir en Europe de l'est invitaient les cadres des partis frères pour les vacances. Pas seulement nous d'ailleurs, j'ai rencontré beaucoup de socialistes et même des gens de droite. On pouvait venir avec sa conjointe, mais voilà : Paul Laurent [père de Pierre et cadre du PC entre 1956 et 1990, ndlr], lui, il emmenait toute la famille!

Il y avait aussi des socialistes ?

Ah bah oui, j'y ai croisé Pierre Joxe par exemple [ministre de l'Intérieur et de la Défense sous Mitterrand, ndlr]

Et des gens de droite ?

[Finaud] Ouais, héhéhé... Je n'en dis pas plus, je l'écrirai.

Puisqu'on est dans les souvenirs, vous êtes né en 1940 dans la Somme. Quelques images de la guerre ?

Il y avait des officiers allemands chez moi. Ce qui était drôle, c'est qu'on avait une oie qui ne supportait pas les képis. Donc elle faisait peur aux officiers, et ils n'osaient pas rentrer dans la maison. Et puis je me rappelle aussi que l'un d'entre eux a mis un jour le pistolet sur la tempe de mon père, qui ne voulait pas obéir. Mon père, il avait fait un trou dans le mur pour cacher la radio et écouter Radio Londres en cachette... Et puis quand les Allemands sont partis, ils ont essayé de faire sauter un tank devant chez nous. Bon, ils n’ont pas eu le temps, ils ont dû déguerpir...

Ça fait pas mal de souvenirs pour le gamin de quatre ans que vous étiez.

Ah oui, je m'en souviens comme si c'était hier. Après-guerre, je me souviens avoir eu très faim. Seulement, à l'époque, y'avait les bons de rationnement. On n'avait pas de pain, pas de patates. Ce qu'on avait, c'était rutabaga et topinambours. Des choses que vous mangez et... pfft... rien.

Le PC et vous, ça commence comment ?

J'ai adhéré à 15 ans. Pas pour des raisons idéologiques d'ailleurs, on était en 1956, hein [l'écrasement de l’insurrection hongroise provoqué en a refroidi plus d’un à l'Ouest, ndlr]. J'ai pas connu le stalinisme, ça je m'en foutais... En réalité, je suis d'une famille de neuf enfants, mon père était bûcheron et j'adorais les études. Mon instituteur est venu voir mes parents en disant que j'avais les capacités de continuer.

« J'étais capitaine de l'équipe de foot de l'Assemblée nationale »

Vous auriez voulu faire quoi ?

Ah, je ne sais pas... J'aurais pu être instit' moi aussi... Mais mes parents lui ont demandé : « Dites, comment voulez-vous qu'on fasse ? Si on lui permet à lui, ce sera une injustice : les quatre devant ils ont pas pu, les quatre derrière ils pourront pas, faute d'argent. » Et moi, ça je le comprends ! Donc je pars travailler, voilà, parce que je ne supporte pas l'injustice. Et qui combattait les injustices à l'époque ? Le Parti Communiste.

C'était de famille ?

Non, non. Enfin, on était une famille ouvrière, mes parents votaient communiste, mais ils n'étaient pas membres du parti. Mes frères et sœurs c'est pareil, ils sont tous encore là, ils me suivent, la plupart votent communistes, mais ils ne sont pas tous au parti, non. Bon, j'adhère. À l'époque, j'étais en apprentissage et j'allais aux Beaux-Arts le soir. J'étais un footeux en plus, j'aurais pu devenir professionnel...

Quel club ?

Abbeville, Promotion d'Honneur. J'étais inter droit. Je joue toujours d'ailleurs, j'étais capitaine de l'équipe de foot de l'Assemblée nationale. Il y avait quelques ministres dans l'équipe : Woerth, Besson... La dernière fois, en face de moi, y'avait même Jean Sarkozy...

Ça ne vous a pas arrêté ?

Bah pas du tout, ça c'est pas de l'injustice, ce sont des gens qui viennent comme moi jouer pour une œuvre caritative, bravo ! Vous savez, la pire des choses n'est pas d'avoir des convictions contraires aux vôtres, c'est de ne pas en avoir du tout. Quand on ne s'engage dans rien, ça veut dire qu'on s'en fout. Ben moi non, je ne sais pas me foutre des autres. C'est une sensibilité, c'est comme ça. À l'Assemblée, quand j'entends une connerie, je réagis avec mes tripes. À la télé, je ne peux pas laisser un ministre dire que le pouvoir d'achat a augmenté, alors que les gens savent que ce n'est pas vrai. Je suis comme ça, tout le monde me connaît comme ça et même pour ça !

Revenons à votre jeunesse. On ne vous imaginait pas aux Beaux-Arts...

Oui, mais j'y allais pour mon métier de polisseur et graveur sur marbre. Je faisais des épitaphes, notamment, je travaillais beaucoup dans les cimetières [Il se marre]. Après je me suis marié, j'ai rejoint ma femme à Amiens où je n'ai pas trouvé de boulot dans ma branche, alors je me suis fait métallo. On m'embauche à la zone industrielle, je vais travailler en mobylette, je fais les trois huit, je suis à la cadence.

Et vous vous faites syndicaliste.

Je monte tous les syndicats de la zone industrielle. On parle de 12.000 salariés : les industries de la région parisienne se sont délocalisées dans la Somme. Et ce ne sont pas des ouvriers, mais des paysans en faillite qui ne vivent plus de leur exploitation. Des solitaires, sans expérience. Je suis élu délégué du personnel. Et voilà que l'entreprise me propose une promotion, cadre : plus de trois huit, plus de chaîne ! Mais je dis non. Parce qu'ils veulent m'acheter. Parce que, moi parti, les syndicats : couic.

Vous voilà dans le collimateur de la direction.

Quinze jours plus tard, première grève, licenciement. Le comité d'entreprise dit non, la direction départementale du travail dit non... Mais le ministre du Travail donne son accord. Donc licencié, deux enfants à élever, tous les jours à devoir aller pointer au chômage. Et à l'époque... y'avait pas de chômeurs! Au bureau du chômage, y'avait que les mecs qui buvaient, les clochards... C'était une honte d'être chômeur! Et j'ai vécu ça pendant huit mois. Voilà pourquoi je ne peux jamais laisser des gens sans les organiser pour qu'ils se défendent.

On est dans l'après-guerre, le PC est au plus haut.

Oui, à l'époque il y a deux blocs : les gaullistes et les communistes. Et je crois que notre erreur a été de ne pas saisir cette chance, de ne pas avoir pris toute la place avec de Gaulle au lieu d'aller créer le Parti Socialiste.

« Oui bah Staline est mort, je m'en fous moi... Il est mort, il est mort, hein... » 

Il fallait la faire, cette révolution ?

Bah, qu'est-ce que c'est qu'être révolutionnaire ? Moi je me suis juste dit : cette société est injuste, elle ne donne pas l'égalité des chances aux familles nombreuses et populaires. Ce n'est pas possible que des enfants qui ont des capacités ne puissent pas les utiliser. Attention, je parle bien d'égal accès, pas d'égalitarisme. Y'avait aussi des gars qui foutaient rien à l'école, hein... Chacun selon ses besoins, mais aussi chacun selon ses mérites. Vous me parliez de Staline, moi Staline...

Vous vous souvenez du jour de sa mort ?

Oui bah Staline est mort, je m'en fous moi... Il est mort, il est mort, hein...

L'URSS, ça représentait quoi pour vous ?

[Contourne la question] Sur l'URSS, j'ai toujours en mémoire les déclarations de grands intellectuels non-communistes qui avaient fait le voyage là-bas et présentaient ça comme un monde idéal. Après, on ne peut pas oublier le rôle historique des soviétiques dans la Seconde Guerre mondiale. Ils ont aussi pesé sur beaucoup de décisions du PCF, c'est clair.

Vous l'avez visité, vous, le Moscou soviétique ?

J'y ai conduit une délégation d'ouvriers. On est allé voir une usine, tous les copains se disaient : « Si c'était comme ça, ce serait le paradis. » Parce qu'ils ne travaillaient pas trop, là-bas. Mais dans ces visites-là, faut bien dire qu'on ne voyait pas tout, c'était très formel.

Quelles responsabilités avez-vous exercé au sein du PC ?

En 1972, je suis membre du comité central. En 1976, membre du bureau politique. En 1978, je deviens secrétaire aux relations internationales.

Du coup, vous avez fréquenté le gratin du communisme mondial ? Un Castro par exemple ?

Castro, c'est un ami, même si ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. A trois heures du matin il arrivait, il s'installait, on parlait jusqu'à pas d'heure. C'est un bourgeois, vous savez, un avocat issu d'une école de curés. Au départ, il n'avait rien d'un révolutionnaire. C'est l'occupation américaine et Batista qui l'ont fait devenir comme ça. Il avait beaucoup de méfiance par rapport à l'URSS, mais sans son aide, il était mort. Castro, c'est un homme fascinant, d'une simplicité extraordinaire. Avec une vraie vision du système international qui, d'ailleurs, se révèle très juste aujourd'hui. Ses discours à l'ONU... Magistraux. Et en même temps, il était capable de vous dire le prix de la moindre petite chose, d'être dans le quotidien des gens. Il n'y avait pas de culte de la personnalité autour de lui, il était vraiment populaire. Je me rappelle des 1er mai à Cuba, lui il parlait, il parlait puis il faisait : « Bon, ça suffit maintenant. » Et les gens : « Naaan ! Fidel ! »

D'une dictature à l'autre, Cuba a-t-elle gagné au change ?

Ecoutez, Fidel Castro, ça a toujours été les enfants d'abord. L'éducation : il a pris des villas et il en a fait des écoles. La santé : pas seulement pour le peuple cubain, mais pour les autres aussi. Alors on peut dire ce qu'on veut, mais quand on voit d'où vient Cuba, qui était le bordel des Etats-Unis... Après, Castro est bien conscient qu'il y a des choses qui ne vont pas. Et on aura toujours une divergence avec lui sur la liberté d'opposition, comme avec tous les PC.

Un peu tard, non ?

Trop tardivement à mon avis, et j'en prends ma part, j'assume tout... En fait, avec le recul, on a eu une chance historique, c'était le XX° congrès du PC soviétique [en 1956, ndlr], où Khrouchtchev fait la critique du stalinisme. À ce moment, en France, on aurait pu se débarrasser du modèle soviétique, travailler à un socialisme pour la France. Mais Maurice Thorez [secrétaire général du PC jusqu’en 1964, ndlr] décide alors de ne même pas informer les militants du rapport de Khrouchtchev. Pour l'ouverture, il faudra attendre 1976.

On a lu quelque part que vous avez essayé d'enseigner le tarot à Denis Sassou N'Guesso...

Hahaha ! C'est vrai, ça ? Ah non, non, ça ne me dit rien. Par contre, j'ai été m'essayer au ping-pong avec des Chinois ! Parce que c'est moi qui ai rétabli les relations entre le PCF et le PC chinois. C'est la mission qui m'a donné le plus grand stress, ça faisait trente ans qu'un dirigeant communiste ne s'était pas rendu en Chine. Donc je m'y suis rendu. Je reste une semaine, je discute avec plein de gens. Et ce qui me frappait, c'est qu'on ne pouvait pas lire sur leur visage si ça se passait bien ou pas, pas un signe, rien. Bon. À l'avant-veille de mon départ, je n'avais toujours pas rencontré un dirigeant du PCC. Et voilà qu'on me dit : « Ce soir vous êtes attendu au Canard Laqué », un grand restaurant de Pékin. Et là, il y avait un dirigeant et nous avons convenu que les conditions étaient remplies pour rétablir les relations, et préparé une visite de George Marchais en Chine.

Gremetz avec Marchais en Chine

Gremetz avec Marchais en Chine

Vous étiez proche de Marchais ?

On se ressemblait beaucoup. Métallos, syndicalistes, même caractère... On a eu souvent l'occasion de discuter, en vacances dans sa petite maison de Robion, dans le sud, ou en visite à l'étranger. Bon, je ne veux pas faire parler les morts, mais je pense qu'on était d'accord sur ceci : l'erreur du PC, c'est d'avoir qualifié De Gaulle de facho. Alors que celui-ci avait l'intelligence de dire « Pas de soumission aux Etats-Unis ». On aurait pu travailler avec la volonté d'un De Gaulle de construire une industrie forte – c'était l'époque du Plan, de la planification ! Cette erreur est due notamment à nos relations trop étroites avec le PC soviétique.

Étroites comment ?

Comme je vous le disais, c’est en 1976, au 22ème congrès, qu’on décide de rompre avec le modèle de l'URSS, la dictature du prolétariat... Une vraie cassure. Et là, il y a des menaces écrites du PC russe de créer une scission chez nous si on parlait du manque de liberté, de « socialisme à la française » etc. C'est vrai que le PCF, c'était un peu « la fille aînée de l'Église » soviétique. Ce qu'on a fait, ils l'auraient accepté d'autres partis, pas du nôtre. Mais on n'a pas cédé.

Le programme commun, ça vous a fait mal aussi, non ? A partir de sa signature (1972), le PS prend l'ascendant sur vous à gauche.

Ça faisait quelques années que l'idée était dans l'air au PC : comme on avait tardé à s'ouvrir, comme on n'avait pas travaillé à une voie originale pour la France, on se proposait de refaire le Front Populaire. Mais pour ne pas se faire avoir, on allait « baguer » le PS en leur faisant signer un programme commun. C'est Thorez qui lance l'idée, et tant que le PS dit non, tout va bien. Intelligence machiavélique de Mitterrand : il accepte, héhéhé.

On imagine que les négociations n'ont pas été simples...

Oh, ça se passait bien ! Mitterrand demandait : « Combien vous voulez de nationalisations ? Lesquelles ? Vous voulez augmenter quoi ? Et avec ça, autre chose ? ». Il n'y avait aucun problème. On s'est dit : Mince, subitement il est devenu révolutionnaire. Et il en rajoutait ! On signe le programme commun, puis on fait un comité central à huis clos pour évoquer tous les dangers que ça fait peser dessus. Parce qu'on était très conscient qu'on allait déguster. Mais de toute façon, on aurait dégusté d'une façon ou d'une autre, tout ça parce qu'on s'est pas dégagé assez vite du modèle soviétique.

Et de fait, vous avez dégusté.

Automatique ! Peu après la signature du programme commun, Mitterrand va à une réunion de l'Internationale Socialiste à Vienne. Il se fait engueuler pour s'être allié avec nous. Et il répond : « En signant le programme commun, je prends trois millions de voix aux communistes ». Historique ! Peu après interviennent quatre élections partielles. Partout nous perdons et le PS nous passe devant.

Pourquoi ?

C'est normal : en signant un programme révolutionnaire, quelle différence entre nous ? Et en même temps il y avait une grande campagne anti-communiste, donc c'était bien plus simple de voter socialiste. Enfin, en ne présentant pas de candidat à la première présidentielle, en 1965, on habituait déjà nos électeurs à voter Mitterrand. D'ailleurs Guy Mollet [secrétaire général du PS, ndlr] avait prévenu George Marchais : « Tu veux Mitterrand ? Tu vas l'avoir. Mais tu le regretteras toute ta vie ! »

Venons-en à vos mandats de député. On vous a découvert grand défenseur de la chasse, mais opposant résolu à la chasse à courre. Vous avez même déposé une proposition de loi pour l'interdire. Pourquoi ?

Le droit de chasse, c'est un acquis de la Révolution. Avant, c'était réservé aux nobles. Donc je suis pour que tout le monde puisse y accéder. Mais la chasse à courre, c'est une tradition monarchique. Et c'est une tuerie, une boucherie ! Le gibier n'a aucune chance, c'est affreux ! On l'épuise puis on le laisse se faire bouffer par les chiens, non mais c'est quoi ça ?

Dans la chasse « normale », il finit quand même par mourir...

Ben quoi, ça vous gène, vous, quand vous mangez un steak ? Hé, une caille c'est bon, non ? Et puis, les assemblées générales de chasseurs, c'est de l'autogestion. Ils décident ensemble ce qu'on peut tuer, où il faut remettre du gibier, où il ne faut pas aller... C'est de la régulation naturelle ! En fait, les chasseurs, ce sont les meilleurs défenseurs de la nature. S'ils n'existaient pas, faudrait les inventer ! Sans eux, les mares de la baie de Somme seraient complètement dégueulasses. Et pourtant, je ne suis pas chasseur.

En juin 1997, vous êtes le seul député de gauche à ne pas voter la confiance au gouvernement Jospin. Qu'est-ce qui se passe ?

Moi j'étais contre la participation au gouvernement dans ces conditions, je pensais qu'on était trop affaibli, qu'on serait plus utile en liaison avec le mouvement populaire pour faire avancer les choses. Bon, la majorité des communistes ont décidé d'y aller, c'est démocratique, pas de problème. Dans les promesses de campagne, il y avait une augmentation de 10% du Smic. Sauf que Jospin, à la tribune, il parle d'une augmentation de 5%! Dans le discours d'investiture ! J'ai dit : ah non, à peine commencé il remet déjà en cause ses engagements ! Et donc je vote contre.

Vous êtes incontrôlable ?

Je suis incontrôlable.

Ça ne vous a jamais nui ?

Je vous fais une confidence : du point de vue de l'efficacité, en termes de dossier, c'est toujours moi qui obtiens le plus des ministres, de droite ou de gauche. Personne ne le conteste. Parce qu'ils savent que ce que je demande une semaine, je le redemande la semaine suivante et ainsi de suite. Je lâche rien. L'efficacité, c'est la pugnacité. C'est ça l'efficacité. Des fois, même les députés de droite me demandent de leur passer des dossiers, ils me disent : avec toi au moins ça ira au bout. Je ne supporte pas qu'on ne réponde pas à quelqu'un. Mes secrétaires le savent : le jour où j'apprends qu'elles n'ont pas répondu à quelqu'un, c'est licenciement direct.

D'ailleurs vous avez été condamné en 2008 pour le licenciement abusif de quatre de vos collaborateurs.

Ils n'étaient plus d'accord avec moi et ils ne répondaient plus aux gens. Or dans le contrat, il y a indiqué qu'il faut être d'accord avec l'employeur. Bon, j'ai payé. J'ai payé gros. J'ai pas de sous moi. Je suis pas comme DSK, j'ai pas Anne Sinclair [Il se marre]. Non mais c'est dingue, cette histoire avec DSK : 5 millions d'euros de garantie, une cage en or, des gardiens, le parachute doré... Comment voulez-vous que les gens ne soient pas dégoutés de la politique ? J'en ai marre ! On va se disqualifier complètement !

Ces coups de gueules permanents...

Ce ne sont pas des coups de gueule permanents.

Concrètement, en 1998, vous forcez en voiture un cordon policier pour pénétrer, toujours en voiture, sous un chapiteau où le président de la Région Picardie et le maire d'Amiens font un discours...

Vous ne connaissez pas le contexte. J'étais invité, j'avais mon écharpe de député, et un CRS veut m'empêcher de passer. Et alors ? Moi, un député de la république ? Les CRS, ils ne m'ont pas arrêté, hein.

Et le premier truc que vous dites, c'est « Vous avez cassé ma voiture, vous allez la repayer ».

En plus, ce n'est même pas ma voiture.

Et vous dites au maire d'Amiens : « M. De Robien, taisez-vous ! »

Absolument, il n'a rien à dire. Et pourquoi ? Parce que M. Baur, président du Conseil régional, avait été élu avec les voix du FN. Et si je rentre en voiture sous le chapiteau, c'est que tout le long du chemin, on essaie de me faire sortir. Donc je ferme tout et j'avance.

Dites, vous aussi on vous a accusé d'avoir été élu avec les voix du FN. C'était en 2005 à l'Agence Régionale d'Hospitalisation de Picardie, vous vous présentiez contre un candidat PS et vous auriez vous-même sollicité le parti d'extrême-droite...

[Pas très à l'aise, Max s'enfonce dans son fauteuil en grommelant] Ça a été jugé en diffamation...

Le FN confirme : vous auriez même donné rendez-vous à son représentant dans les toilettes du Conseil régional pour négocier l'affaire...

[Toujours bougonnant] Non, mais non, mais dans les toilettes, voyons... Ça sent mauvais dans les toilettes... Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Vous ne pouvez pas imaginer une chose pareille. Voyons. Pas un seul instant. Non.

« Tout le monde ferme sa gueule, tout le monde empoche son fric, personne ne vient à l'Assemblée »

Revenons sur votre réputation de fonceur : à certains moments, on n'est pas loin de la castagne... 2008, toujours au Conseil régional de Picardie : un socialiste vous accuse de l'avoir frappé.

Je n'ai jamais donné une gifle, même à mes enfants! Par contre, on ne me bouge pas, on ne me sort pas. Aucun patron ne m'a fait sortir. Et personne ne me sortira. Faut pas me toucher. Sur cette histoire de 2008, vous avez vu la vidéo ? Le tribunal l'a vue aussi. Le président du conseil régional a été condamné pour diffamation et j'ai été relaxé. Pourquoi ça tombe sur moi ? Parce que je ne lâche jamais. Je suis un militant syndicaliste.

Et le dernier des Mohicans ?

Tout le monde ferme sa gueule, tout le monde empoche son fric, personne ne vient à l'Assemblée. Peut-être qu'il n'y a pas assez d'ouvriers. Moi j'ai des tripes, j'ai du cœur, point à la ligne. Je ne suis pas un malade, je suis un sportif, j'ai du caractère. Et quand c'est non, on me fera pas dire oui. Ça c'est clair.

Un autre comme ça, c'est Jean-Luc Mélenchon.

Mais moi, je m'en fous du caractère de Mélenchon. C'est un arriviste, c'est tout. Quand il cire les pompes à Jospin pour avoir un petit secrétariat d'Etat à la formation professionnelles et qu'en même temps son gouvernement privatise, qu'est-ce qu'il fait ? Il s'en va ? Non.

Mais maintenant c'est le candidat commun du PC et de du Parti de Gauche.

Ce n'est pas le mien. Et j'espère qu'il y aura un candidat communiste à l'élection [présidentielle de 2012, ndlr], sinon c'est la mort du PC.

Une préférence ?

Je m'en fous du candidat, je veux un communiste avec un programme communiste. Mélenchon, il est prêt à dire n'importe quoi - et je le lui ai dit en face. Pour lui, Maastricht c'était un « grand pas vers une nation européenne ». Et avec ça, toujours d'un mépris absolu envers les communistes.

Le Front National est devenu le premier parti ouvrier…

Ce n'est pas étonnant. On devrait être un rempart contre le FN, on ne l'est plus. J'ai reproché au PC d'abandonner la classe ouvrière, les milieux populaires. C'est ça leur problème avec moi, je suis leur mauvaise conscience. Parce que je n'ai jamais oublié Amiens-Nord, les quartiers difficiles. En 2007, ils ont présenté un candidat communiste contre moi et j'ai réuni 60% des voix. Dans ma circonscription, le FN n'existe plus [5,35% au premier tour des législatives en 2007, mais 17,7% en 2012 ndlr]. La responsabilité, c'est celle de Sarkozy, du PS, du PC. Je vois encore Robert Hue monter les marches à Cannes en costume, parce qu'il fallait trouver d'autres électeurs dans d'autres catégories [en 1998, ndlr]... Le PC, c'est d'abord être sensible aux gens et être avec eux.

En parlant de ça, vous vous présentez comme le député-ouvrier, mais avec tous vos mandats, vous avez dû toucher de confortables payes, non ?

Non, parce que j'ai toujours reversé l'argent à mon parti. Normalement, c'est comme ça au PCF : la paye va au parti qui vous rend l'équivalent d'un salaire d'ouvrier spécialisé. Malheureusement, on me dit que plus personne ne le fait. Moi je continue. Pas au parti, à « Colère et Espoir », mon association politique. J'avais proposé aussi qu'on ait la même retraite qu'un ouvrier. Et la suppression du cumul des mandats – même si moi-même j'ai parfois été obligé d'en cumuler.

D'ailleurs, quel est votre avenir? Aux cantonales [de 2011 ndlr], vous avez été battu à Amiens par un socialiste. 61% contre 39%...

Il faut tout de même rappeler qu'il y a eu une très forte abstention. Et qui vous dit que je ne serai pas candidat aux prochaines législatives ?

Mais dites-le nous !

Ah, suspens ! [Gourmand] Je n'envisage rien, mais tout est possible. [Il ne le fera pas, ndlr]

Et pourquoi pas la présidentielle, contre Mélenchon ?

Je n'exclus rien. [… ndlr]

« Il vaut mieux avoir mon image que pas d'image du tout »

Comment vous occupez-vous quand vous ne faites pas de la politique ?

Je suis le plus grand lecteur de l'Assemblée. Bon, je ne regarde jamais ni critiques, ni auteurs. Les auteurs, ça ne m'intéresse pas. Le titre du livre non plus. Les prix littéraires, les machins, non plus. J'en ai rendu 6-7 hier, je ne me rappelle même plus des auteurs. Je dis aux responsables de la bibliothèque : vous connaissez mes goûts, faites-moi une sélection pour les vacances. Tiens, une petite astuce, pour vous : si un député ne commande pas un bouquin à la bibliothèque de l'Assemblée, c’est qu’il ne vient jamais.

Finalement, la caricature qu'on fait de vous, elle vous chagrine ?

Je reçois des messages très positifs. Le fait d'avoir démissionné, on me dit que c'est une belle leçon de civisme. Vous savez, il vaut mieux avoir mon image que pas d'image du tout. Jacques Duclos [dirigeant historique du PCF] m'a dit une chose quand j'avais 23 ans, avec son accent rocailleux : « Je vais te donner deux conseils, tu prends ça comme tu veux. Un : en politique, la pire des choses ce n'est pas qu'on parle en bien ou en mal de toi, c'est qu'on ne parle pas de toi. Deux : les meilleures improvisations sont celles qui sont le mieux préparées. »