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Le moment Fabien Roussel (et après?)

 

 

 

Cette étrange campagne de l’élection présidentielle a vu apparaître à la fin du mois de février et au début du mois de mars un véritable moment Fabien Roussel. Une communication bien orchestrée, des formules frappantes en particulier lors de son meeting de Marseille le 1er mars lorsqu’il oppose à la théorie du ruissellement attribuée à Macron celle du « roussellement », une certaine aura personnelle, il n’en fallait pas moins pour que les médias s’enflamment, certains allant jusqu’à évoquer une « percée » de Fabien Roussel.

 

Se sont soudainement multipliés interviews du candidat communiste, articles de journaux, émissions de radio et de télévision brossant son portrait de façon le plus souvent complaisante, entretiens avec des spécialistes dont l’auteur de cet article y compris avec des représentants de la presse étrangère. À gauche, divers petits partis – la Gauche Républicaine et socialiste, les Radicaux de gauche, le Mouvement Républicain et citoyen, la Nouvelle Gauche Socialiste – et certains intellectuels, comme le philosophe Henri Peňa-Ruiz, ont annoncé le soutenir. Du côté de la majorité, Gérald Darmanin parle de son « ami » Roussel, Bruno Le Maire le trouve « très sympathique » comme Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer ou Christophe Castaner. À droite, des personnalités, à l’instar de la journaliste Elisabeth Lévy, estiment que Roussel « sauve l’honneur de la gauche ». Une opinion partagée par Alain Finkielkraut tandis que Raphaël Enthoven publie un court livre d’entretien avec lui. Dans un autre registre, l’animateur Cyril Hanouna « adore » Fabien Roussel, « un type exceptionnel ».

 

Mais qui est donc cet homme et que dit-il ou fait-il pour susciter pareil engouement ? Le parcours de Fabien Roussel, né en 1969, est typiquement et classiquement celui d’un homme d’appareil du Parti communiste. Né dans une famille de militants communistes du nord de la France (son père était entre autres journaliste à L’Humanité), il adhère très tôt au sein du Mouvement des Jeunesses communistes. Presque toute sa carrière ensuite se déroule au sein du parti, Fabien Roussel gravissant une à une toutes les étapes du cursus honorum communiste. Conseiller à partir de 1997 au cabinet de Michelle Demessine, secrétaire d’État au Tourisme dans le gouvernement de la gauche plurielle dirigé par Lionel Jospin, attaché parlementaire de deux députés PCF du nord, dont Alain Bocquet, l’un de ses mentors (une activité à l’origine d’une enquête pour soupçon d’emploi fictif), il devient en 2014 conseiller municipal de Saint-Amand-les-Eaux, la ville de Bocquet puis, trois ans plus tard,  député de la 20e circonscription du Nord. En 2018, il accède au poste de secrétaire national de son parti, succédant à Pierre Laurent auquel il s’opposait. Fabien Roussel défend une orientation politique claire, soutenue par toutes les multiples sensibilités orthodoxes du PCF : réaffirmer l’identité communiste, redonner de la visibilité au parti et relancer celui-ci autour de quelques axes fondamentaux qui, justement, constituent le cœur de sa campagne présidentielle. 

 

En mai 2021 82% des 30 000 cotisants du PCF se sont prononcés pour une candidature communiste à ce scrutin, rompant ainsi avec ce qui avait été la stratégie du parti en 2012 et 2017, à savoir le soutien à Jean-Luc Mélenchon. Aux yeux de Fabien Roussel et donc de la majorité des militants, ce soutien s’était traduit par une perte de l’identité communiste et la marginalisation du parti. Pire, en 2017, les rapports entre le PCF et La France insoumise étaient devenus exécrables, empêchant la signature d’un accord entre eux pour les législatives. En outre, Jean-Luc Mélenchon et ses amis n’ont cessé de maltraiter leurs alliés, de les humilier, voire de les ringardiser. Pour les communistes, il était temps de se rebiffer et c’est ce à quoi s’emploie Fabien Roussel. Lequel entend par ailleurs profiter de la profonde crise du Parti socialiste pour tenter de renverser le rapport de forces qui penchait en faveur de ce dernier depuis 1978. Enfin, il s’agit de se différencier nettement des écologistes qui, dans la lignée des élections européennes de 2019 et des municipales de 2020, pensaient avoir le vent en poupe. 

 

Son programme intitulé La France des jours heureux contient les propositions classiques du PCF, certaines étant mises au goût du jour et dont beaucoup tranchent avec celles de ses concurrents à gauche : nationalisations – SNCF, EDF, Engie, La Poste, Orange, mais aussi la BNP, Axa, Société Générale -, smic à 1500 euros net par mois, retraite à 60 ans à taux plein, pension fixée à un minimum de 1200 euros mensuels, statut pour les travailleurs des plateformes numériques, moratoire sur les plans sociaux et les licenciements, embauche de 500 000 fonctionnaires, hausse de 30% des salaires de la fonction publique, création de 300 000 emplois dans les Ehpad, élargissement du RSA aux moins de 25 ans, accroissement du budget de l’Education nationale de 45% et de 43% pour celui de l’Enseignement supérieur, ou encore construction d’hôpitaux publics. Le financement serait assuré par une imposition à au moins 25% des banques et des multinationales, un nouvel impôt sur les sociétés, le rétablissement et le triplement de l’ISF, l’instauration de 15 tranches d’impôt sur le revenu pour rendre celui-ci plus progressif, cependant que les impôts indirects et les taxes sur l’électricité et le gaz seraient réduits. Fabien Roussel propose que l’Etat agisse pour une politique volontariste de réindustrialisation. « Ecolo-coco » comme il aime à se définir, il entend atteindre la neutralité carbone en 2050 mais plaide pour un mix énergétique associant « l’incontournable » nucléaire, avec la construction de 8 EPR, et les énergies renouvelables. Concernant les institutions, il prône l’abrogation de l’élection au suffrage universel du Président de la République, le renforcement du Parlement, l’instauration de la proportionnelle intégrale et la possibilité d’organiser des référendums d’initiative citoyenne. Par ailleurs, Fabien Roussel se veut un ardent défenseur de la République, de la laïcité mais aussi de la France, auquel il a consacré un livre, Ma France, dont le titre évoque chez les plus anciens la célèbre chanson de Jean Ferrat. En ce sens, il renoue plus que jamais avec quelques-uns des socles de la culture politique du PCF telle qu’elle s’est construite à partir du milieu des années 1930 lorsqu’il voulut s’enraciner dans la réalité nationale tout en maintenant la prééminence de son rapport de fidélité absolue à l’URSS, puis avec le programme du Conseil National de la Résistance, enfin dans la décennie 1960-1970 lorsque le PCF revendiquait un « socialisme aux couleurs de la France ».

 

Fabien Roussel a imposé un certain style à sa campagne. Celle-ci est entièrement centrée sur sa personne, le sigle du PCF figurant en tout petit sur ses affiches. Il cherche à mobiliser de nouveau une partie de la base classique du PCF, par exemple ceux qui travaillent dans l’industrie du nucléaire. Ainsi se multiplient les appels à voter pour lui « des salariés de l’énergie » ou de ceux de la RATP, émanant souvent de syndicalistes de la CGT. Il entend aussi s’adresser aux catégories populaires qui s’abstiennent ou votent Rassemblement National et La France insoumise. Par conséquent, point de sujet tabou et, au contraire, des actions et des propos directs, simples et qui apparaissent à contre-courant d’une certaine doxa largement répandue dans la gauche française. Fabien Roussel dénonce la délinquance qui frappe les plus démunis ; au demeurant, il n’avait pas hésité à se rendre à une manifestation de policiers en colère devant l’Assemblée nationale le 19 mai 2021. Il se montre favorable à la pratique de la chasse et déclare le 9 janvier 2022 au cours d’une émission de télévision « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage, selon moi, c’est la gastronomie française » à condition que tous puissent y avoir accès à ces produits et que ceux-ci soient de qualité et français. Bref, Fabien Roussel essaye de parler au « peuple » en reprenant, défendant et valorisant ce qu’il pense être les références, les coutumes et les pratiques de celui-ci. En ce sens il fait penser au Georges Marchais des années 1970, gouailleur, percutant, enclin à opposer le peuple aux gros, pour reprendre le titre d’un livre de Pierre Birnbaum, avec toutefois deux différences. Si le premier tendait parfois à tenir des propos quelque peu ambigus sur les immigrés, Roussel se prononce, lui, en faveur du droit de vote pour les résidents étrangers aux élections municipales et européennes et pour la régularisation des sans-papiers. Par ailleurs, Fabien Roussel ne fait pas preuve d’agressivité envers les journalistes ayant exercé lui-même cette activité, préférant donc séduire plutôt que d’invectiver. Ce qui fonctionne, à l’évidence.

Il faudra attendre le 10 avril pour vérifier si les 3 à 4% d’intentions de vote enregistrés actuellement par les sondages sont confirmés dans les urnes. Une forte inconnue vient de l’effet de la guerre en Ukraine qui le met en difficulté et l’oblige à un exercice de contorsion. En effet, alors que dans son programme il prônait la sortie de l’OTAN et même sa dissolution, Fabien Roussel a condamné avec fermeté l’invasion russe, dénoncé Vladimir Poutine comme principal soutien de l’extrême droite, exprimé sa solidarité au peuple ukrainien et repoussé sine die la sortie de l’OTAN. S’il atteint le résultat qu’enregistrent actuellement les enquêtes d’opinion, cela sera incontestablement un succès de son point de vue.

 

D’abord, parce que la dernière candidate communiste à la présidentielle, Marie-George Buffet, n’avait obtenu en 2007 que 1,9%. De ce fait, Fabien Roussel consolidera son pouvoir au sein de son propre parti et les militants seront requinqués. Ensuite, s’il passe devant Anne Hidalgo, cela sera un vrai motif de satisfaction après des décennies où le PCF était loin derrière le parti socialiste. En fonction également des résultats de Jadot et de Mélenchon, Fabien Roussel pourra espérer peser dans les négociations pour les accords en vue des législatives puis, peut-être, dans la recomposition politique qui, à gauche, suivra les deux scrutins.

 

Toutefois, ce succès, si succès il y a, sera à relativiser. Pour trois raisons principales. Parce que la gauche sera sans doute à un niveau très bas, même si Mélenchon fait un relativement bon score. Parce que rien ne dit que la composition sociologique de l’électorat de Fabien Roussel soit à la hauteur de ses ambitions, les sondages démontrant qu’il attire, pour le moment du moins, des électeurs âgés, issus des catégories intermédiaires et qu’il n’attire pas les abstentionnistes et les électeurs populaires de Marine Le Pen. Enfin, parce que le PCF reste exsangue en dépit de l’engagement et du dynamisme de son secrétaire national : 3% aux législatives de 2017, 2,5% aux européennes de 2019 tandis que son implantation municipale s’érode ainsi qu’en atteste la perte en juin 2021 du dernier conseil général qu’il détenait, celui, emblématique pour lui, du Val de Marne. Le PCF n’a plus guère d’adhérents, ses liens se sont distendus avec la CGT et toutes les autres organisations naguère dites de masse. Reste donc à savoir si cette campagne de Fabien Roussel annonce un retour du PCF comme acteur important de la vie politique ou si elle ne constitue qu’un épisode sans lendemains durables ni réels jours heureux pour le PCF.

 

Marc Lazar a récemment publié, avec Stéphane Courtois, une Histoire du Parti communiste français (PUF, 2022).

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26/03/2022
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