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Nicolas Lebourg, « En dissolvant les groupuscules d'extrême-droite, on risque de les moderniser »

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Entretien. Nicolas Lebourg, historien et politiste, chercheur au Cepel (CNRS-Université de Montpellier) est spécialiste de l’extrême droite. Il a dirigé avec Isabelle Sommier l’ouvrage collectif La violence des marges politiques des années 1980 à nos jours (1). Selon lui, la dissolution des groupes qui mêlent activisme politique et violence doit être réfléchie avec prudence.

On assiste à une recrudescence d’actes de violences de l’extrême droite. Est-elle mesurable ? Est-ce gratuit ou une vraie forme de discours politique ?

Nicolas Lebourg C’est quantifiable, il y a des statistiques régulièrement établies par la police. Attention, le degré d’acceptation de la violence est extrêmement faible car on a un niveau très faible de violence politique depuis les années 80. Mais ce qu’on ressent depuis un ou deux ans c’est une tentation activiste qui revient, et une plus grande acceptation de la violence politique. Avec les black blocs par exemple : jusqu’ici on les identifiait seulement à des casseurs, en refusant de prendre en compte la dimension politique de leur action, aujourd’hui le cortège de tête en manifestation peut faire 1400 personnes qui ne sont pas tous des black blocs mais refusent l’action classique des syndicats ou des partis politiques. Il y a un frémissement sur la question de la violence politique.

Vous parlez de la tentation activiste. Il y a une acceptation parce qu’elle est mise en scène ? Par exemple par Génération identitaire avec ses maraudes à destination des SDF français, son récent coup de main contre les migrants à la frontière franco-italienne ?

Nicolas Lebourg Leur stratégie illustre le problème de la question des dissolutions. Après celle d’Unité radicale (UR) en 2002, Philippe Vardon et Fabrice Robert ont changé de stratégie en tentant de faire de Génération identitaire un « Greenpeace » de l’extrême droite. Ce sont des gens intelligents qui ont compris qu’il fallait changer, organiser leur action pour qu’elle soit reçue de façon positive, par les médias d’abord, et le public ensuite : tabasser un épicier arabe à coups de batte de base-ball n’a jamais été bien vu, même par la vieille France du 16e arrondissement... Résultat, on est dissous, des militants vont faire de la prison, les plus intelligents rejoignent des partis de droite.

Alors que l’activisme tel qu’ils le pratiquent leur donne un langage commun, des souvenirs, mais aussi une cohésion de groupe, une meilleure image : la rombière du 16e n’a plus peur. C’est une petite révolution qu’ils doivent à l’Etat qui leur a fourni cette chance en dissolvant UR : ils n’auraient jamais pu le faire avaler au milieu autrement... La répression fournit une énergie modernisatrice que les groupes sont incapables d’avoir par eux-mêmes et d’imposer à leurs troupes. Sans la loi Gayssot-Pleven de 1972 (condamnant l’expression de propos racistes et antisémites – ndlr), jamais François Duprat (ex numéro 2 du Front national) n’aurait imposé le passage à la dénonciation sociale de l’immigration. Il aurait été complètement coincé dans une propagande qui avant 1972 ose des slogans comme « sous-développés sous capables ». Jamais Vardon n’aurait pu imposer le « Greenpeace de la résistance française », selon sa formule, sans la dissolution d’Unité radicale. La dissolution permet aux cadres d’imposer une réforme à la base qui est assez conservatrice sur ses formes militantes.

La dissolution sans discernement est une mauvaise solution ?

Nicolas Lebourg Lorsque l’Etat dans les années 30 envisage de dissoudre le Parti national breton, les préfets de Bretagne disent « surtout pas ! ». Lorsque dans les années 70, le gouvernement prévoit une première dissolution de l’Oeuvre française, il demande aux Renseignements, qui lui écrivent une note disant « surtout pas ! On les surveille, on sait où ils sont, ce qu’ils font… On contrôle la situation. » J’ai travaillé sur des dizaines de dossiers de dissolution, à chaque fois le corps policier, préfectoral ou les Renseignements disent « laissez-nous faire ». La plupart du temps – il y a eu quelques ratés – ils ont eu raison.

En plus, c’est une question lourde sur le plan des libertés publiques. Quand avec l’Oeuvre française (2) Yvan Benedetti (qui avec Alexandre Gabriac, leader, lui, des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, comparaissait lundi à Lyon pour « reconstitution de ligues dissoutes » - ndlr) a investi le Parti nationaliste français en 2015, il entrait dans un mouvement qui date de 1983, fondé sur un bulletin qui date de 1967. On ne peut pas dire que c’est de la « reconstitution de ligue », ils ne remontent pas le temps ! Il n’est pas interdit d’être malins, même quand comme lui on se revendique du fascisme et de l’antisémitisme. Mais ce n’est pas le problème : si on accepte de taper au marteau, sans se soucier des libertés fondamentales, au prétexte que le gars est un fasciste, ça nous retombe dessus, et les avis de droit risquent de faire jurisprudence. Il faut être prudents. Comme je le disais plus tôt, on n’efface ni les hommes ni les idées, on risque de les moderniser...

Ou de les voir se recycler dans des mouvements qui ont pignon sur rue, au risque qu’ils les radicalisent.

Nicolas Lebourg C’est l’éternel paradoxe. Quand Vardon devient cadre du Front national, c’est parfait en terme de maintien de l’ordre public: un militant radical issu d’un mouvement violent devient un notable. Mais d’un autre côté ça se traduit par une extrémisation de la vie politique, en échange de la normalisation de la radicalité. Il y a une transaction, il faut savoir si on veut la payer ou pas...

Dans le livre est évoquée la notion de bastions, les enjeux de monopolisation de territoires. C’est un phénomène à l’œuvre avec le Bastion social du GUD qui essaime un peu partout en France (Lyon, Marseille, Chambéry…)

Nicolas Lebourg François Audigier insistait là-dessus dans le volume précédent de la collection et il avait raison, même si le phénomène évolue encore. C’est fondamental pour comprendre les dynamiques : la bataille de territoire est absolument fondamentale entre extrêmes, car cela leur permet de mobiliser chaque groupe. Par exemple, le couloir rhodanien, Lyon-Marseille et jusqu’à Nice est un cœur militant de l’extrême droite radicale, avec un enracinement historique, on le voit en étudiant les archives des RG et de la DST dans le temps long. Mais les pouvoirs publics n’en ont jamais tenu compte dans leur stratégie, car ils n'ont pas ce regard dans la longue durée sur leurs propres archives Le vrai problème est que les pouvoirs publics ont une appréhension conjoncturelle de la radicalité, sans analyse structurelle. Ça a encore empiré avec la réforme des renseignements sous Sarkozy, qui ne permet pas d’analyse structurelle. Alors que jusque dans le passé, on y travaillait : dans les années 60, les services sont bons sur l’extrémisme. A partir de septembre 67, les services de renseignement passaient leur temps à écrire des notes sur les mouvements trotskystes, maoïstes, etc. Ils savaient les repérer, quantifier leur action.  Aujourd’hui on est toujours dans l’urgence : après l’émotion de l’opinion publique, les hommes politiques s’agitent, on prend des décrets de dissolution très rapides, mal ficelés...

(1) Collection Violences et radicalités militantes, aux éditions Riveneuve

(2) Mouvement fondé en 1968 par Pierre Sidos en mémoire du maréchal Pétain et dissous en 2013 après la mort du militant antifasciste Clément Méric. Comme les Jeunesses nationalistes révolutionnaires, auto-dissoutes en 1995 par Serge Ayoub avant d’être réactivées en 2010 par Alexandre Gabriac.

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25/06/2018
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