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TRANSPORT. LE TRAIN DES PRIMEURS DÉPRIME

Les cheminots CGT dénoncent, le 24 mai, l’aberration écologique de l’arrêt de cette ligne au profit des camions. Raymond Roig/AFP
Les cheminots CGT dénoncent, le 24 mai, l’aberration écologique de l’arrêt de cette ligne au profit des camions. Raymond Roig/AFP
 

La menace qui pèse sur la dernière liaison fret de fruits et légumes de France, entre Perpignan et Rungis, est le symptôme de la casse du service public ferroviaire, étouffé par l’emprise du lobby de la route.

«Le Perpi-Rungis, ça a toujours été le train prioritaire. Celui qu’il fallait faire rouler à tout prix, même pendant les grèves. » Mikaël Meusnier est mécano fret à la SNCF. Et depuis juillet 2004, il fait partie de l’équipe des huit conducteurs qui, en roulement, assurent les deux rotations du train des primeurs. Quotidiennement, il convoie 25 caisses réfrigérées, lourdes de 500 à 800 tonnes de fruits et légumes. Départ 17 h 30 du marché Saint-Charles de Perpignan en direction de Bordeaux, en semaine, et de Toulouse, le week-end. Puis, après la relève conducteur, un collègue prend le relais jusqu’à Rungis. Arrivée à 2 h 30 du matin. Pile à l’heure pour l’ouverture du MIN (marché d’intérêt national) le plus grand du monde. « Ce train, c’est un symbole, c’est le dernier qui fait ça », explique Mikaël Meusnier. Pourtant, l’ancien « fleuron du fret » va finir au rebut.

Prolongation jusqu’à mi-juillet

Annoncé en mars dernier, l’arrêt définitif du Perpignan-Rungis était prévu à la fin du mois de juin, alors que prennent fin les contrats commerciaux qui lient Fret SNCF aux deux transporteurs opérant aujourd’hui les trajets, Rey et Roca. Mais la vague d’indignation suscitée par la nouvelle a forcé le gouvernement à entrer dans la danse. Mi-mai, Élisabeth Borne annonçait ainsi, au sortir d’une réunion au ministère des Transports, la pro­longation des circulations « jusqu’à la fin de la saison haute ». C’est-à-dire ? « C’est-à-dire jusqu’à mi-juillet ! » s’étrangle Mikaël Meusnier. « En gros, on a gagné quinze jours »… Et encore, le cheminot syndiqué à la CGT reste prudent. « Le changement de service et les plannings des rotations seront fixés le 9 juin et pour l’instant, rien n’est officiel, on ne nous a transmis aucune information sur un quelconque prolongement du service au-delà de fin juin », précise le mécano.

« Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », lance Charlotte Thillien, secrétaire de l’union locale CGT de Perpignan sud. Pour elle, les choses sont claires : « Ils ont décidé dès juillet 2018 qu’ils passeraient tout par camions. » Ils ? « Les deux transporteurs, Rey et Roca. » Et c’est bien là, l’un des nœuds de l’affaire. Les deux entreprises, pour justifier leur décision de ne pas renouveler leur contrat, invoquent entre autres la vétusté des 82 wagons réfrigérés, qui frisent les 40 ans d’âge. Du matériel loué à la société Ermewa, une filiale à 100 % de la SNCF. Le renouvellement se chiffre en millions d’euros et l’amortissement en dizaines d’années. Personne ne semble prompt à mettre la main au porte-monnaie. Alors certes, les wagons sont vieux, « mais entretenus ! » martèle Mikaël Meusnier. « On roule à 140 km/h avec des normes de sécurité très élevées. La sécurité, on ne joue pas avec ça. Tous les spécialistes maintenance sont d’accord : ils ne pourront pas tirer encore dix ans, mais deux ou trois ans de plus sans problème. »

Mais Rey et Roca sont désormais aux mains de seigneurs de la route, propriétaires de flottes de camions qu’ils comptent bien faire rouler entre Perpignan et Rungis. Au printemps 2018, les transports Rey sont ainsi passés sous la houlette de Logifel, société elle-même détenue pour partie par Socafna, mastodonte français du transport routier qui revendique 300 camions et autant de trajets quotidiens pour plus de 1,5 million de tonnes de marchandises transportées chaque année. De son côté, Roca appartient à Primever, réseau français de transport logistique aux 1 700 départs quotidiens de camions. Le lobby du tout-routier est à l’œuvre et s’acharne sur le train des primeurs. Au scandale environnemental – en cas d’arrêt de la liaison ferroviaire, 25 000 camions supplémentaires par an circuleraient sur des axes routiers déjà surengorgés – s’ajoute l’aberration économique. « Les calculs ont été faits. Un seul wagon fret sur un trajet Perpignan-Rungis coûte en moyenne 400 euros de moins qu’un trajet en camion ! » détaille Mikaël Meusnier.

Pris au piège de ses contradictions, l’exécutif a bafouillé, évoquant mollement la création d’un « groupe de travail, sous l’autorité du ministère », censé plancher sur des « solutions pérennes » qui favoriseraient le « report modal » de la route vers le rail. Parmi elles, l’autoroute ferroviaire – mettre des camions entiers sur des trains qui iront de Barcelone à Rungis via Perpignan. « Ils vont faire semblant de charger à Perpignan quelque temps et après ? » s’inquiète Charlotte Thillien. Ni les horaires de passage à Perpignan, ni les vitesses de circulation des autoroutes ferroviaires (80 km/h en moyenne) ne permettent un transfert satisfaisant.

Décision dans le camp du politique

À demi-mot, tous redoutent en réalité de voir s’assécher inexorablement le marché Saint-Charles de Perpignan au profit des places espagnoles. « Ici, autour du marché, tous les vendeurs de fruits et légumes sont espagnols. Tous. Alors, de là à ce qu’ils décident de transférer leurs activités de l’autre côté de la frontière… » Mikaël Meusnier ne termine pas sa phrase. Saint-Charles, c’est 70 hectares, 150 entreprises, 200 000 m2 d’entrepôts frigorifiques et, surtout, 2 164 emplois directs et 6 000 induits.

Reste que « la mobilisation a obligé la ministre à sortir du bois, à mettre le sujet sur la place publique », se félicite Romain Pitelet, de la CGT cheminots. Encore faut-il « aller plus loin sur le plan politique pour ne pas laisser les seuls technocrates de la SNCF décider de ce qui est bon pour le pays en matière de transport ferroviaire », renchérit Didier Le Reste, président de Convergence nationale rail. La balle est dans le camp du politique. Cette ligne doit être « déclarée d’utilité publique ou d’intérêt national », revendique la CGT.

 

Marion d’Allard. Journal l'Humanité.


01/06/2019
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