La dernière fois remonte à loin. Ils ne se croisent plus. Ne se parlent plus en direct. En fait, ils se guettent de travers et à distance. Une compétition à bas bruit, des petits coups de pied sous la table en faisant mine de regarder ailleurs. D’une durée totalement inédite pour cause de coronavirus, la campagne des municipales met un peu plus en exergue la rivalité entre Yannick Jadot et Eric Piolle. Le député européen et le maire de Grenoble - candidat à sa réélection dimanche - parcourent le pays afin de soutenir les différents écologistes qui bastonnent pour rafler une mairie lors du second tour des municipales. Des sorties sous les flashs. Des sourires et des mots importants pour convaincre les électeurs. Les styles sont différents. La stratégie politique aussi. Mais les deux verts ont le même objectif : être le prochain candidat écologiste à la présidentielle.

Le député européen est parti avec une bonne longueur d’avance. Il a profité du joli score des écologistes aux dernières européennes pour tenter de s’imposer comme le candidat naturel de sa famille. Pourtant, les mois défilent et le grand Jadot a du mal. Pas facile de percer et de se faire un nom dans la cour des grands. L’ambitieux enchaîne les médias. Sa voix se fait entendre dans toutes les matinales et la presse écrite le raconte en longueur. Mais ça coince. La fusée Jadot ne décolle toujours pas dans les différentes enquêtes d’opinions. Flûte. Mais il y croit encore. Persuadé que les choses se «cristalliseront» dans les prochains mois. Surtout, il est convaincu que son heure a sonné. Le député européen ne voit pas qui pourrait mieux faire dans son camp. Comprendre : le meilleur, c’est lui !

 

«Copain»

Le maire de Grenoble ne voit pas les choses de cette manière. Eric Piolle s’imagine lui aussi dans les habits du candidat. Mais contrairement à son concurrent, l’inconnu du grand public n’a pas son rond de serviette dans les médias. Du coup, l’ancien chef d’entreprise opte pour une autre option : la création d’un réseau avec les maires des grandes villes. L’édile de la capitale iséroise fait ami-ami avec la bourgmestre de Paris, Anne Hidalgo. Ils échangent régulièrement, regardent l’avenir dans le même sens et il le fait savoir au plus grand nombre. D’ailleurs, Eric Piolle ne cache pas sa proximité avec les gauches - qui, elles, entretiennent des rapports houleux avec Yannick Jadot, coupable d’avoir tenté de les conjuguer au passé. A quelques jours du premier tour des municipales et du confinement, par exemple, le maire de Grenoble (en campagne) a organisé un grand match de foot avec François Ruffin, Clémentine Autain, Guillaume Balas et Audrey Pulvar. Il appelle ça un «arc humaniste».

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Les deux hommes ne s’attaquent pas (encore) frontalement. Yannick Jadot parle d’un «bon gars», Eric Piolle d’un «copain». Personne n’y croit vraiment. Lorsque les micros s’éteignent, le député européen parle plutôt d’un gars qui n’a pas le niveau pour le poste suprême de la Ve République. De son côté, le maire de Grenoble se demande pourquoi Jadot a autant de mal à s’opposer à Emmanuel Macron. Il est sûr que ce «copain» est capable d’accepter un poste au gouvernement lors du prochain remaniement. Pas étonnant que Yannick Jadot, qui a fait le tour de France pour soutenir tous les candidats écologistes, n’ait pas posé un orteil à Grenoble. On imagine les faux sourires devant les curieux.

Baston

Pour le moment, la direction du parti regarde cette baston silencieuse sans un mot. Le secrétaire national d’EE-LV, Julien Bayou, s’en félicite presque. Tout content de voir sa famille prendre du poids dans le jeu politique et des caractères s’affirmer. C’est mieux d’avoir le choix que de subir une candidature. Mais il reste conscient que tout peut se dégrader très vite chez les écologistes. Bayou laisse le temps venir. Il ne sait toujours pas comment le prochain candidat à la présidentielle sera désigné. Eric Piolle et Yannick Jadot ne semblent pas emballés par l’idée d’une primaire interne. Le premier souffle que le mode de désignation doit se faire dans un cadre plus large - donc avec les autres familles de gauche - et le second espère encore être désigné naturellement.

 

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Les deux hommes ont des caractères différents. Yannick Jadot aime prendre la lumière. Il est aussi expressif qu’Eric Piolle est discret. Mais au sein de la mouvance écologiste, le maire de Grenoble compte un peu plus de supporters que le député européen, de nombreux candidats aux municipales prenant sa trajectoire comme référence. Les mots de Jadot résonnent aussi chez certains. L’ancien de Greenpeace répète tous les matins qu’il est l’heure de prendre le pouvoir. Ça paraît banal mais ce n’est pas évident pour une famille qui a toujours joué le rôle de contre-pouvoir. Une chose est certaine : au soir du second tour, si la vague verte se confirme, l’un et l’autre lèveront les bras au ciel pour crier victoire. Yannick Jadot expliquera que c’est le sacre de l’écologie (donc le sien) et Eric Piolle celui de l’écologie mélangé aux gauches (donc le sien). Chaque détail compte dans une course à la

présidentielle.

 

Rachid Laïreche