BERNARD STIEGLER, LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET LE PCF
Le 5 août s’éteignait Bernard Stiegler, une voie singulière et féconde dans le paysage intellectuel mondial. Bernard Stiegler a été l’un des rares intellectuels français à réfléchir la révolution numérique dans toutes ses contradictions, mais aussi a agir concrètement sur ces conséquences, que cela soit au sein du Conseil national du numérique au temps où cette institution avait du sens, à Ars Industrialis ou sur le terrain, en initiant des projets novateurs sur le territoire de Plaine commune.
Il n’était ni technophobe, ni technobéat, il était technocritique. Dialectiquement il considérait le numérique comme un « pharmakon », c’est à dire à la fois un remède, un poison et comme bouc-émissaire, voire un exutoire . Pour lui, le fait que toute technologie soit un pharmakon était tout le contraire d’une neutralité de la technique. Bernard Stiegler opposait à un anthropocène dominé par entropie informationnelle mortifère du capitalisme, la conquête d’une voie « néganthropique » impliquant de mettre « les automates au service de capacités individuelles et collectives de désautomatisation ».
Pour Bernard Stiegler, dans le cadre du capitalisme globalisé, « l’automatisation algorithmique conduit au dépérissement du salariat et de l’emploi, et donc à la disparition prochaine du modèle keynésien de redistribution des gains de productivité » et à une « hyper prolétarisation » au sens donné dans le Manifeste de Karl Marx au mot prolétaire. Mais il récusait l’idéologie de la « mort du travail » et proposait une extension à tout le salariat du statut d’intermittent du spectacle . Cette proposition entrait en résonance avec la « Sécurité emploi formation » du PCF.
Avec la disparition de Bernard Stiegler, le PCF a perdu un ami critique. Bernard Stiegler entretenait un rapport fort avec le PCF. Contrairement à d’autres qui ont quitté le PCF, Bernard Stiegler n’a jamais renié son engagement de huit années, ni versé dans l’anticommunisme. Il a au contraire toujours reconnu l’importance du PCF dans la société française. Il a constamment pratiqué un dialogue critique mais fécond et amical avec le PCF et les élu·e·s communistes. Bernard Stiegler ne manquait pas une occasion de souligner le rôle décisif joué par les municipalités communistes, le Parti communiste, la Fête de l’Humanité dans l’appropriation populaire de la culture dans toutes ses dimensions. Si Bernard Stiegler ne se revendiquait pas marxiste, il a toujours mis en avant l’apport de Marx dans la construction de sa propre pensée. Bernard Stiegler aimait débattre avec les militants communistes que cela soit à la Fête de l’Humanité à l’Espace du numérique libre, des hackers et des fablabs, aux Etats généraux de la révolution numérique organisés par le PCF lors d’un débat avec Pierre Laurent, à l’Espace Marx de Lille avec Fabien Roussel et lors du centenaire de la Révolution d’octobre avec Frédéric Boccara. Réciproquement il m’a invité à prendre la parole en tant que dirigeant du PCF sur les questions du numérique lors des assemblées générales d’Ars Industrialis. Ces échanges critiques étaient quelque chose de très important pour lui, comme pour le PCF.
Lors des cinquièmes États généraux de la révolution numérique organisés par le PCF qui se tiendront les 20 et 21 novembre à l’espace Niemeyer, nous rendrons un hommage à la mémoire et aux travaux stimulant de Bernard Stiegler.
Yann Le Pollotec, membre du CN du PCF, responsable national de la commission Révolution numérique.
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