Les 150 membres de la Convention pour le climat avaient travaillé dur. De leurs propositions, il ne reste pourtant pas grand-chose dans le projet de loi présenté le 10 février au Conseil des ministres. Ils témoignent aujourd’hui de leurs espoirs déçus et des louvoiements d’un gouvernement qui n’a jamais eu l’intention de les écouter. Pia de Quatrebarbes
D’habitude, Guy Kulitza est plutôt un sceptique. Mais cette fois, il a voulu y croire : « Quand un président de la République vous annonce qu’avec 149 autres citoyens tirés au sort, vous allez plancher pour faire baisser “d’au moins 40 % les gaz à effet de serre d’ici à 2030, et dans un esprit de justice sociale”, vous n’hésitez pas. » À 60 ans, Guy, ancien agent chez EDF-GDF, a vu, session après session, cette « intelligence collective » se mettre en mouvement. « Pris individuellement, on n’a pas beaucoup d’importance. Mais ensemble, si. On a réussi à se mettre d’accord sur des solutions concrètes », explique le Limousin.
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C’était justement le pari de la Convention. Pour comprendre sa mise en œuvre, il faut se replonger dans l’hiver 2019 : les gilets jaunes qui se mobilisent, le grand débat qui fait flop, les marches sur le climat qui font recette et puis l’affaire du siècle, cette plainte de quatre ONG contre l’État pour inaction climatique, et ses 2 millions de soutiens… Emmanuel Macron est aux abois. « Il cherchait une porte de sortie.
Quand on l’a rencontré, le 12 février, j’y suis allé avec un tas de rapports. Le problème n’est pas le constat, mais la capacité à se mettre d’accord. On lui a proposé cette assemblée. Une mini-France qui délibère, c’est aussi le reflet d’une fraction médiane dans la population », nous racontait, en juin, le réalisateur et l’un des premiers membres du mouvement Colibris, Cyril Dion, qui fut « garant » de la convention.
« Dès le départ, j’ai eu l’impression qu’on allait se faire avoir »
Car, pour lutter contre le réchauffement climatique, pas besoin d’aller chercher les solutions très loin. Elles sont connues, documentées, rapport après rapport, depuis trente ans. « On n’a rien inventé, mais on a cherché à voir les conséquences que des mesures pouvaient avoir. Par exemple, pour baisser la consommation de viande, un expert nous avait dit qu’il fallait la taxer. On a tout de suite dit non », explique Mélanie Blanchetot, 37 ans, des Hauts-de-Seine, qui travaille dans l’événementiel.
Pendant six mois, ils bûchent le soir, le week-end. « Les nuits à s’envoyer des rapports », se souvient Mélanie, qui vit climat, mange climat, dort climat.
Les 150 citoyens arrivent avec leurs convictions. Leurs a priori aussi. Il y a ceux qui se prennent « une grosse claque » après l’exposé de la climatologue Valérie Masson-Delmotte, comme ils le répètent volontiers. Et puis les plus méfiants. « Dès le départ, j’ai eu l’impression qu’on allait se faire avoir », confie Grégory Oliveira Dos Santos, électricien rennais de 37 ans, qui se souvient avoir googlé tous les experts. « Il y avait la directrice d’Areva, ce qui allait limiter les discussions sur le nucléaire… Il n’y en a jamais eu, d’ailleurs. Et puis il y avait aussi des profils plus greenwashing que transformation écologique. »
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Dans les cinq groupes (se nourrir, se déplacer, produire et travailler, consommer, se loger), ils se mettent au travail. À la première session, Agny Kpata, 36 ans, coordinatrice dans le secteur médical, pose la question au premier ministre d’alors, Édouard Philippe : « Quatre ans après l’accord de Paris, pourquoi n’avons-nous rien fait ? » Il refile le micro en même temps que la patate chaude à la ministre de tutelle de l’environnement, Élisabeth Borne. « Elle ne répond pas, elle serpente… » se souvient Agny. Tout est déjà un peu là, ce 4 octobre 2019, dans ce silence.
N’empêche, pendant six mois, ils bûchent le soir, le week-end. « Les nuits à s’envoyer des rapports », se souvient Mélanie, qui vit climat, mange climat, dort climat. Agny aussi : « J’y ai passé trois cents heures. » La convention, qui ne devait durer que cinq week-ends, s’installe toujours plus dans le travail et le paysage. Entre-temps, Emmanuel Macron leur a garanti que, si en sort « un texte rédigé, précis et qui peut être appliqué, il le sera sans filtre ». En clair, « il n’avait qu’à poser le rapport final sur le bureau de l’Assemblée nationale », comprend Grégory.
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La pandémie leur coupe les ailes. Avril 2020 : leurs propositions sont quasi bouclées. « Le gouvernement annonce des milliards pour des secteurs polluants. Il fallait essayer d’en prendre dessus pour le climat », se souvient Grégory Oliveira Dos Santos. Guy Kulitza, lui, a eu « le sentiment qu’il y a eu une tentation de nous mettre de côté ». Finalement, une lettre est envoyée à Emmanuel Macron avec 50 propositions. « Ils ne nous la feront pas à l’envers », semblent dire les citoyens. « Ça nous a protégés », explique Guy. « Nous non plus, on ne veut pas retourner dans “l’a-normal” », se remémore Éloïse, la benjamine des 150, 17 ans à l’époque, qui martèle : « On n’a pas le temps, je n’ai plus le temps d’attendre ! La maison dans laquelle j’ai grandi à Dunkerque sera sous l’eau dans soixante-dix ans. »
« Le président joue au Uno avec notre avenir »
Chacun a senti le moment où ça vacillait. Pour Agnès Catoire, 43 ans, gestionnaire de paie qui vient d’être licenciée économique dans le Val-de-Marne, c’était lors du week-end de vote. Le 22 juin, retour au palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental, à Paris, les 150 votent sur leurs 150 propositions. La question est aussi : les mesures seront-elles soumises à référendum ? « Il n’était pas question pour moi d’imposer sans consulter les Français. Ça aurait donné du poids face aux filtres du président », explique la Francilienne. Cent quarante-neuf mesures sont votées, sans référendum.
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Une semaine plus tard, dans les jardins de l’Élysée, Emmanuel Macron présente son « nouveau chemin vert »… tout en dégainant trois « jokers » : d’abord la taxation sur les dividendes. Puis les 110 kilomètres/heure sur autoroute. « C’est pourtant une mesure qui fait baisser de 20 % les gaz à effet de serre du transport et ne coûte rien à personne », reprend Mélanie Blanchetot. Et puis l’écocide. Éloïse, débit mitraillette, raconte : « Emmanuel Macron a l’air de penser que c’est un jeu. Je suis restée bloquée sur le mot : “joker”. Et je n’arrêtais pas de me dire : “Le président joue au Uno avec notre avenir.” » Guy s’accroche aux 146 mesures restantes. Matthias Martin-Chave aussi. Pour le développeur Web de 32 ans, « il y a encore de quoi y croire ». Sauf que…
Le lendemain, commence la déferlante. « Joker sur joker… chaque ministre en rajoute un. J’ai cru que c’était seulement leur parole. Mais ils avaient l’autorisation de Macron. Et, au final, tous leurs jokers ont été retenus », décrypte Guy. Saucissonnées, découpées, édulcorées, amoindries, reportées… tout est bon pour ne pas appliquer leurs propositions. « Il y a aussi cette tendance à renvoyer à l’Europe ou aux collectivités », reprend Matthias. À ce jeu, disparaissent la taxe sur les engrais azotés, les 30 kilomètres/heure en ville. « Et puis on nous sort beaucoup le volontariat des entreprises. Elles vont s’autoréguler, veulent-ils croire », souligne encore Mélanie Blanchetot. En creux, Guy comprend que Bercy décide de tout, « même sur l’environnement ». « Tout ce qui compte, c’est de “rester compétitif”. C’est le seul mot qu’ils ont à la bouche. Pas le vivant, ni la nature », continue Agnès.
Qu’est-ce que le traité de la charte de l’énergie, cette justice parallèle nuisible au climat ?
Ça rue dans les brancards dans les rangs de la Convention. Mais, fin septembre, le ministère de la Transition écologique a encore une belle histoire à raconter aux journalistes. Pendant un point presse de deux heures, les conseillers déroulent l’argumentaire, des mesures sont déjà adoptées : « 25 en tout », disent-ils. En réalité, c’est un gros flou. « Une partie est écartée et amoindrie dans le projet de loi de finances, une autre doit venir dans le projet de loi », décortique Matthias. Là, Grégory « n’arrive plus à suivre, impossible de compter le nombre de mesures trappées : 149, sans doute », reprend-il.
Le paillasson des lobbyistes
Les citoyens, eux, ont des concertations pendant trois mois avec « les acteurs des secteurs ». « On a été le paillasson de tout ce que l’aviation comptait de lobbyistes. C’était horrible… Et, c’est simple, absolument rien n’est passé. On nous a pris pour des débiles », lâche Matthias. L’interdiction des vols quand une alternative en train en quatre heures existe est devenue en deux heures trente avec des exceptions. « Au final, ça ne concerne plus que cinq lignes », continue-t-il.
Commence alors « une fable des allers-retours » entre ministres et citoyens. Mais « il n’y en a pas eu. Ils ont tout décidé tout seuls », dit Grégory. Le week-end des 7 et 8 décembre, cinq visioconférences, cinq ministres, pour présenter le projet de loi. « Un défilé, des petites tournures de phrases pour essayer de cacher que rien n’est gardé », continue Matthias
Emmanuel Macron revient, publiquement, devant eux le 14 décembre, au Cese. Guy boycotte. Matthias, lui, y va, mais « il nous fait une redite exacte de la rencontre une semaine avant… mais sans caméra. C’est de la figuration ». Et puis, il y a le sans-filtre. « Là, il change les termes du contrat, le sans-filtre devient : il regarde une par une (les propositions – NDLR) et il filtre », enrage Matthias.
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Le projet de loi, qui s’appelle désormais « lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », communiqué le 8 janvier, n’est absolument pas ambitieux. Cette fois, c’est le Cese qui le dit, le 28 janvier : « Dire que le texte “s’inscrit” dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) relève d’un abus de langage. » Une visioconférence avec la ministre de la Transition écologique, le 22 janvier, énerve encore un peu plus les citoyens : « On nous a dit que nos 149 mesures n’atteignaient pas la baisse de 40 % des GES du mandat. Et pourquoi, alors, les amoindrir ? » s’emporte Agny. Guy a « l’impression d’avoir été roulé dans la farine. Mais je le referai, car, finalement, on a mis le bien commun, et quelque part le bonheur au centre du débat. Bosser soixante-dix heures par semaine pour acheter un gros 4×4, être intoxiqué par la pub et prendre l’avion pour aller respirer l’air pur à l’autre bout du monde parce qu’il n’y en a plus ici, c’est aussi toutes ces questions qui nous ont traversés ». Sans vraiment le chercher, Emmanuel Macron aura au moins réussi à redonner le goût de la politique à 150 citoyens.
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