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Analyse de MARION FONTAINE historienne au premier tour des Présidentielle dans le journal LA MARSEILLAISE.

"La Marseillaise" - 2022/04/12

 

« Le score de la France insoumise est le reflet du vote utile »

 

Pour Marion Fontaine, toutes les voix qui se sont portées sur la FI ne se reporteront pas nécessairement sur elle aux prochaines élections. PHOTO DR

entretien

 

Marion Fontaine, historienne spécialiste des mouvements ouvriers et sociaux, professeure à Sciences Po, analyse les différents résultats des forces de gauche suite à ce premier tour de l’élection présidentielle. Elle développe aussi les différents scénarios pour la reconstruction de la gauche dans les semaines et années à venir.

 

La Marseillaise : Quelle est votre analyse des résultats des principales forces de gauche ? Les différentes stratégies ont-elles porté leurs fruits ?

 

Marion Fontaine : Est-ce que les différentes stratégies ont fonctionné ? Oui et non. Oui, si on regarde le score atteint par la France insoumise. Non, car la gauche est une nouvelle fois exclue du second tour de la présidentielle. Quoi qu’il en soit, ça ne peut pas être considéré comme une réussite. Et cela prive de la possibilité, pas simplement d’un second tour, mais d’une véritable alternance. À ce compte-là, personne à gauche n’est vainqueur. Cependant, évidemment qu’il y a des petits vaincus à moitié vainqueurs et des vrais vaincus. Par exemple, ce résultat est très satisfaisant pour la FI, ils gagnent des voix par rapport à l’élection précédente. Mais il faut bien faire attention à ce que veut dire ce score. Il est le reflet d’un vote utile. Est-ce que ça signifie 20 % d’adhésion à la FI elle-même ? Seules les législatives pourront nous le dire. Attendons un peu.

 

 

Le score de Jean-Luc Mélenchon ne correspond pas à l’ensemble de son mouvement ?

M.F. : Nous n’avons pas encore les enquêtes sur les votes eux-mêmes donc c’est très difficile à dire. Mais d’après ce qui est dit, cela excède la limite de la France insoumise. On a tous entendu des électeurs de gauche dire « je ne suis pas d’accord avec Mélenchon sur tel et tel sujet, mais je vote pour lui quand même car c’est le candidat de gauche le mieux placé ». La France insoumise a bénéficié de votes d’électeurs qui n’adhéraient pas nécessairement à l’entièreté du programme de la FI ni à la personne de Jean-Luc Mélenchon, mais qui ont souhaité voter utile pour la gauche. En ce sens, le vote utile a fonctionné à 100 %. Est-ce que cela signifie une situation politique stable ? Je ne sais pas encore mais la question se pose. Toutes les voix qui se sont portées sur la FI ne se reporteront pas nécessairement sur elle aux prochaines élections. Cela reste à vérifier, pour le moment personne n’en sait rien.

 

Et pour les autres forces de gauche ?

 

M.F. : Quand aucune d’entre elles n’atteint 5 %, on ne peut pas appeler ça autrement qu’un désastre. Un désastre qui atteint les deux partis historiques de la gauche, le Parti socialiste et le Parti communiste, qui se retrouvent presqu’au même niveau, avec un petit avantage pour le PCF. Il est certain que ces deux partis ont perdu énormément d’influence. Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a plus que le choix entre la voie de la FI et suivre Macron ? C’est une autre question, mais ce qui est sûr, c’est que le PS et le PCF devront faire face à des défis considérables dans les années à venir.

 

Après 15 années d’absence, quel regard avez-vous sur la campagne de Fabien Roussel et du PCF ?

M.F. : Fabien Roussel a fait une bonne campagne, tout le monde le dit. Oui le PCF est présent mais j’ai des réflexes d’historienne : en 1946-47, le PCF atteignait 26 % des voix à lui tout seul. Il a réussi à revisibiliser le PCF mais les questions d’implantation ne sont pas réglées. Du reste, je pense qu’il y a un point où la FI a tort. Le fait qu’il y ait plusieurs partis à gauche, si vous avez une gauche forte, n’empêche pas l’accession au second tour. Quand Mitterrand gagne en 81, il y a un candidat communiste fort, un candidat radical et d’autres plus petits, et il va quand même au second tour. La gauche a toujours intérêt à être plurielle. Il n’y a rien à gagner dans une gauche monocolore.

Et pour EELV ?

 

M.F. : L’épuisement des deux partis nés du congrès de Tours peut s’expliquer pour des tas de raisons : désindustrialisation, accès au pouvoir... Mais le résultat écologiste est très surprenant, quand on connaît le poids des questions environnementales. On se retrouve avec une France insoumise très forte au niveau national, mais qui gère très peu de collectivités locales, presqu’aucune toute seule. À l’inverse, il y a trois partis qui ont des conseils régionaux, des villes, des départements mais qui sont complètement marginalisés au national. Il y a une disjonction de l’échelle à gauche. Avec d’un côté, des partis qui explosent au moment de la présidentielle et qui s’affaissent ensuite. Et de l’autre, des partis qui ont des bases locales mais incapables d’avoir une base nationale. Cela pose question et je pense que c’est l’une des grandes questions à gauche, comment articuler le local et le national ?

 

Cette question va peut-être se poser pour les législatives ?

 

M.F. : Elle va évidemment se poser pour les législatives, qui vont arriver dans un contexte pas nécessairement bon. Soit il va y avoir beaucoup de règlements de comptes, soit chacun va essayer de préserver ses sphères d’influences. Il va falloir voir comment vont agir les électeurs.

Dans ces conditions, la gauche peut-elle s’entendre en vue de cette échéance ?

 

M.F. : Il y a une pression existentielle. C’est-à-dire que, si la gauche veut avoir une tribune et des moyens, faire l’impasse sur les législatives me paraît compliqué. D’autant qu’on est dans un contexte politique pas réjouissant, l’extrême droite est extrêmement haut. Il y a un moment où cela devient urgent d’avoir une gauche représentée nationalement et localement. Mais cette menace existe depuis 5 ans, 10 ans et ça ne pousse pas nécessairement la gauche à s’unir. Tout le monde peut penser qu’un contrat entre les différentes formations politiques, celles qui ont des élus locaux et celle qui a une influence nationale serait le mieux pour être le plus efficace. Après, quand vous avez passé les dernières semaines à vous insulter, ça risque d’être un peu compliqué. Je suis persuadée que les grandes manœuvres ont déjà commencé, mais je ne peux pas dire comment cela va se passer.

Il y a l’impression que les logiques de sondages amènent à un vote utile dès le 1er tour. Se dirige-t-on vers un système un peu à l’américaine ?

 

M.F. : Cela pose la question des sondages. Mais globalement, avant même la parution des premiers sondages, il me semble que la répartition des forces n’a pas énormément évolué. La FI est montée, les trois autres sont descendus. Je ne sais pas si c’est lié aux sondages ou si c’est simplement la pression du système présidentiel. Peut-être que les électeurs se décident en fonction des sondages mais aussi en fonction d’un système où ils savent bien qu’au deuxième tour, il n’y a que deux personnes. Si on avait un système parlementaire à l’allemande, je crois que la question se poserait différemment. Les électeurs seraient plus enclins à voter pour ce qui leur correspond le mieux, avec l’idée que les partis seront forcés de faire alliance pour une majorité à l’assemblée. Et à la fin, leurs idées pèsent quand même. Le risque de l’hyper personnalisation de l’élection présidentielle, c’est que les électeurs sont rationnels. Ils votent pour celui dont ils pensent qu’il a le plus de chance d’arriver au 2nd tour, même sans sondage.

 

Pour vous, c’est du bon sens ou de l’auto persuasion ?

 

M.F. : C’est un calcul rationnel. C’est mathématique. Je ne dis pas que c’est bien, mais c’est la logique institutionnelle. Il faut aussi bien noter que tout ça se joue dans un contexte où la gauche est historiquement faible. Si on additionne les 22 % de Mélenchon, les 4 % de Jadot, les 2,5 % de Roussel... Elle est au mieux à 30 %. C’est pour ça que l’on a eu l’impression, pour cette élection, que tout ce qui comptait c’était d’atteindre le 2nd tour. Quand bien même les chances de gagner l’élection étaient extrêmement réduites. Un 2nd tour Mélenchon-Macron, Mélenchon avait très très peu de chances de l’emporter.

 

Propos recueillis par Amaury Baqué

 

« La gauche est historiquement faible. Si l’on additionne les scores, elle est au mieux à 30 % »

 

 

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14/04/2022
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